Géographie de la Bretagne/Le milieu naturel

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Sommaire

Le milieu naturel (1994)

Auteurs : Hervé Régnauld & Yves Lebahy



Le milieu naturel (2014)



Le plateau continental, un atout majeur de la Bretagne

Auteur : Jonathan Musereau


Géophysique du plateau continental

Le plateau continental se définit comme le prolongement du continent sous la surface de la mer. Cette transition vers l'océan se fait de façon graduelle, la profondeur pouvant augmenter de manière progressive ou plus brutale. Il s'agit également de la partie des fonds marins et de leur sous-sol sur lesquels un État côtier a une juridiction économique. C’est aussi un milieu varié, riche et largement exploité.

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Les eaux territoriales

La plupart du temps, c’est dans cette zone que s’étendent les mers dites « territoriales », la partie de mer côtière sous la souveraineté des Etats côtiers. En pratique, la largeur des eaux territoriales est fixée à 12 milles (20 km) au-delà du littoral. L'État côtier peut néanmoins prévenir les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration dans une zone dite « contiguë » qui s’étend jusqu’à 24 milles (40 km). Au-delà, il peut également disposer d’une Zone Économique Exclusive (ZEE), dont les limites maximales sont établies à 200 milles (320 km) de la côte.



La nature des fonds sous-marins

La bathymétrie (mesure de la profondeur de la mer) des eaux territoriales bretonnes montre que 50% de la surface sous-marine se trouve entre l'estran et -50 m, 41,5% entre -50 m et -100 m, et seulement 8,5% à une profondeur supérieure à 100 m. Cette dernière n’est toutefois pas atteinte en Manche, où le plateau continental offre une pente plus douce, de même qu’au large du Morbihan. En étudiant plus précisément la topographie et la géologie des fonds marins au large des côtes bretonnes, on comprend que ces différences locales en termes de profondeur sont liées au fait que le Massif Armoricain se prolonge sous la mer. En effet, si ce dernier s'étend sur seulement 5 km au large du Trégor et du Léon, il atteint 30 à 50 km dans le golfe normand-breton et face au rivage morbihannais.

En ce qui concerne la sédimentologie des fonds marins, en Bretagne nord, ainsi qu'à l'extrémité ouest, les dépôts grossiers (cailloutis et graviers) hérissés d'affleurements rocheux dominent. A l’inverse, les ensembles sableux et les fonds vaseux sont fortement représentés en Bretagne sud. Entre la vasière et le rivage, une échine rocheuse s’étend parallèlement au rivage et émerge en certains endroits pour former un chapelet d’îles (Glénan, Groix, Houat, Hoëdic et Belle-Ile). La différence de nature des sédiments entre la Manche et le Golfe de Gascogne s’explique en partie par la vitesse inégale de leurs courants marins.



Marées et courants

La Bretagne est réputée pour ses marées, la baie du Mont Saint Michel détenant le record européen du plus grand marnage, l’amplitude entre une pleine mer et une basse mer successives. Lors des Hautes Mers de Vive-Eau Exceptionnelles (les « grandes marées » d’équinoxe), cette amplitude peut atteindre près de 14 m à Saint Malo alors elle ne dépassera pas 7,5 m à Brest et plafonnera à 5,5 m à Concarneau. Les variations de la topographie du plateau continental et l’amplitude du marnage ont une incidence majeure sur la vitesse des courants marins. Le long de la Manche et en Iroise, lors du flot (marée montante) la vitesse des courants s’élève souvent à 7 km/h et peut atteindre 15 km/h dans les zones de rétrécissement, comme au niveau du Cap Fréhel (qui signifie en breton fort courant : « fré » courant et « hel » haut), dans le Fromveur, entre Molène et Ouessant, ou encore dans le Raz de Sein. En Bretagne Sud, la vitesse du courant de marée ne dépasse guère 1 à 2 km/h, sauf dans les estuaires (rias) ou dans des passes étroites du golfe du Morbihan.



Les richesses du plateau continental

Les mers du plateau continental sont aussi le siège d’écosystèmes produisant une profusion de végétaux (les algues) et une forte biomasse animale, des richesses exploitées et parfois surexploitées depuis longtemps. La majorité de ces animaux et végétaux vit dans les 50 premiers mètres, là où la lumière du soleil pénètre facilement. En Bretagne, de par leur diversité et leur richesse, les ressources vivantes aquatiques et le benthos (organismes vivant en relation étroite avec les fonds subaquatiques) ont toujours fait l’objet d’une attention toute particulière et, plus récemment, d’une protection juridique (création de zones protégées).


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Les bancs de maerl

Le maerl est constitué d’algues rouges calcaires de la famille des corallinacées (corail). La complexité architecturale des bancs de maërl offre une multiplicité de niches écologiques et favorise la diversité biologique. Ils constituent, avec les herbiers de zostères, l’une des biocénoses les plus originales et les plus diversifiées de l’Atlantique Nord. Les bancs de maërl se révèlent ainsi être de véritables réservoirs de biodiversité. En outre, ils représentent une zone de nurserie pour des espèces commercialement exploitées telles que les bivalves (coquille Saint-Jacques, pétoncles, palourdes, praires) et les juvéniles de poissons (bar, dorade, lieu, rouget…). Localement, ils peuvent constituer une source non négligeable de matériaux de formation des plages. Plus de 900 espèces d’invertébrés et 150 espèces d’algues ont été recensées sur le maërl des côtes bretonnes.



La Grande Vasière

La « Grande Vasière » occupe la partie médiane du plateau du Golfe de Gascogne, entre la Bretagne et les Charentes. La caractéristique remarquable de cette aire de dépôt est son extension sur 250 km parallèlement au littoral, par une profondeur d’environ 100 m. L’épaisseur de sédiments peut atteindre jusqu’à 12 m. Vaste étendue chalutable, la Grande Vasière est le siège d’importantes pêcheries de sole, merlu et langoustine, dont l’évolution des productions met en question la pérennité de leur exploitation. Si elle peut paraître appauvrie quant à ses peuplements de langoustines, elle sert de nourricerie à diverses espèces de poissons (merlu en particulier) lors de leur croissance.



Le parc naturel d’Iroise

Plus au nord, la Mer d'Iroise constitue elle aussi un lieu d’une grande richesse écologique. Elle abrite le plus grand champ d’algues marines d’Europe (plus de 300 espèces répertoriées). La quasi-totalité des 120 espèces de poissons de la façade atlantique française et de la Manche y sont présentes. Un quart de la population française de mammifères marins y réside. Il est donc naturel de chercher à protéger ce patrimoine. Dans cette démarche, le Parc Naturel Marin d’Iroise, créé le 28 septembre 2007, représente un dispositif majeur. Situé au large de la pointe du Finistère, il s’étend du sud de l’île de Sein au nord d’Ouessant. Il couvre une superficie de 3 500 km2, soit l’équivalent de la moitié du département du Finistère. L’aire géographique retenue pour le parc est volontairement étendue pour garantir son efficacité en termes de fonctionnement des écosystèmes marins. Le Parc Naturel Marin d’Iroise offre une solution viable pour veiller à la conservation des richesses naturelles de l’Iroise nécessaire au développement des activités qui rendent cet espace vivant et attractif.



L’exploitation du plateau continental

Les mers bordières de la Bretagne constituent un espace très fréquenté par les flottes internationales de commerce (fret ou passagers) et de nombreuses embarcations de pêche et de plaisance. L’intensité du trafic et les marées noires qu’il a provoqué ont nécessité sa canalisation pour renforcer la sécurité. Si les fonds marins se sont révélés dépourvus de pétrole ou de gaz, la zone fait l’objet de nombreuses prospections pour l’extraction de matériaux marins. Le vent et les courants marins constituent enfin des sources prometteuses de production électrique dont l’exploitation débute à peine ou peine à débuter.


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Une fréquentation accrue

Au large de la péninsule bretonne, le rail d'Ouessant constitue un dispositif de séparation du trafic maritime qui vise à canaliser le passage maritime le plus fréquenté du monde, emprunté en 2003 par 54 200 navires et un transit quotidien d'environ 700 000 tonnes de marchandise. Suite à la mobilisation publique qui a suivi la catastrophe de l'Amoco Cadiz (marée noire, 1978), le dispositif a été éloigné de la côte, modifié et complété : un second rail montant positionné à 33 milles d'Ouessant est désormais obligatoire pour les navires transportant des produits dangereux. A cette fréquentation liée au transport de marchandise, s’ajoutent celles liées à la pêche, une activité profondément ancrée dans l’identité et l’économie de la Bretagne, et à la plaisance très active le long des côtes.



La mer source d’énergie

Depuis 1966, la première centrale marémotrice du monde, utilise les courants très puissants de l’estuaire de la Rance (Dinard) pour générer de l’électricité. Le barrage de la Rance est ainsi devenu la première source d’électricité de la région dans le domaine des énergies renouvelables. Il existe également trois projets de parcs éoliens “ offshore ”. L’un se situe en baie de Saint Brieuc et devrait occuper une superficie de 180 km2, un autre aurait une emprise de 80 km2 sur le Banc de Guérande et le troisième devant Belle-Ile n’a pas été retenu.

Trois projets de récupération de l’énergie hydrolienne ont également vu le jour durant ces dernières années. Le premier est situé au large de l’île de Bréhat et consiste à tester la fonctionnalité de quatre hydroliennes immergées par -35 m de fond et distantes d’une quinzaine de km des côtes. EDF les a raccordées à son réseau de distribution au moyen d'un poste de livraison d'énergie situé à terre. Le second projet (Hydro-gen) est porté par la SARL Aquaphile, qui a mis au point des hydroliennes flottantes et amarrées par des lignes de mouillages. Il fait l’objet de tests en rade de Brest. Le troisième, géré par la société Hydrohelix et nommé SABELLA, est implanté à Bénodet, à la sortie de l’estuaire de l’Odet. Des projets de récupération de l’énergie de la houle et des vagues sont enfin à l’étude, comme le SEAREV lancé en 2003 par le Laboratoire de Mécanique des Fluides (LMF) de l'Ecole Centrale de Nantes. (1)



Conclusion

Le plateau continental et les mers bordières qui le surmontent constituent un atout majeur pour les habitants de la péninsule bretonne mais aussi un terrain de confrontation d’intérêts et de risques découlant de facteurs naturels et d’activités humaines. Prélever des sédiments marins peut fragiliser un rivage dunaire ou bouleverser un biotope propice à la reproduction d’une espèce animale de haute valeur. La forte fréquentation par des navires de toutes tailles peut provoquer des accidents parfois meurtriers ou engendrant de graves dommages sur le milieu naturel, en dépit de la sophistication des aides à la navigation. Bien d’autres questions se posent à propos de la gestion de cet espace marin et de l’aménagement de ses bordures. Celles-ci seront abordées dans les chapitres sur l’exploitation de la mer, l’aménagement du littoral et la crise de l’environnement.

(1) pour davantage d’information sur l’énergie maritime, consultez le chapitre Transports & Energie : http://www.skolvreizh.com/wiki/G%C3%A9ographie_de_la_Bretagne/Les_r%C3%A9seaux#Transports_.26_.C3.89nergie_.282014.29


Orientations bibliographiques :

  • AUGRIS C., CRESSARD A. P. (1991). Les matériaux marins. Mines & Carrières, vol. 73.
  • FOLLIOT B. (2004). « La Grande Vasière » : Etude sédimentologique de deux secteurs septentrionaux. Mémoire de DEA, Université Lille 1, 50 p.
  • GRALL J. (2002). Biodiversité spécifique et fonctionnelle du maerl: réponses à la variabilité de l'environnement côtier. Thèse de doctorat, Université de Bretagne Occidentale, Brest 300 p.
  • GUILCHER A. (1954). Morphologie littorale et sous-marine. Collection Orbis, P.U.F., Paris, 216 p.
  • HILY C., CONNAN S., RAFFIN C. (1999). Atlas des herbiers zostères de Bretagne : Inventaire des sites, de la faune et de la flore. Rapport de contrat DIREN Bretagne/UBO, 229 pp.
  • PINOT J. P. (1998). La gestion du littoral. Institut Océanographique, Paris, 2 tomes, 759 p.



Webographie :




Les risques « naturels » en Bretagne (2014)

Auteurs :

- Alain HENAFF, maître de conférences de géographie, Institut Universitaire Européen de la Mer, Université de Bretagne Occidentale, Littoral-Environnement-Télédétection-Géomatique - Géomer-Brest Umr 6554 CNRS

- Catherine MEUR-FEREC, professeure des Universités en géographie, Institut Universitaire Européen de la Mer, Université de Bretagne Occidentale, Littoral-Environnement-Télédétection-Géomatique - Géomer-Brest Umr 6554 CNRS


Les "risques naturels"

Il semble important de revenir brièvement sur l’appellation « risques naturels » qui est très largement utilisée, notamment au niveau institutionnel et réglementaire, lorsque l’on se réfère à des aléas considérés comme étant d’origine naturelle (séismes, tempêtes, glissements de terrain, etc.) (Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, 1997). Le qualificatif "naturel" s’utilise alors par opposition aux risques dits "technologiques".

Cependant cette expression n’a pas strictement de sens pour le géographe car, si certains aléas sont indubitablement d’origine naturelle (volcans ou séismes), le risque, qui résulte de la présence d'enjeux sociétaux, ne peut être qualifié, à proprement parler, de "naturel" (Meur-Ferec, 2008). De plus, de nombreux aléas qui apparaissent a priori naturels, comme l’érosion ou les inondations, sont, dans les milieux fortement anthropisés, sensiblement influencés par les aménagements humains. R. D’Ercole et P. Pigeon rappellent ainsi "l’évidente anthropisation des aléas dits naturels". (voir la bibliographie)



En raison de sa géographie physique (climat, géologie, hydrographie), la Bretagne est relativement peu exposée aux risques dits « naturels », comparativement aux autres régions de France métropolitaine et d’outre-mer. La région est, en effet, épargnée par plusieurs aléas comme les tsunamis, les cyclones, les éruptions volcaniques, les coulées de lave, les avalanches, et les crues nivales, et relativement épargnée par les risques de retrait et gonflement d’argiles, grandes inondations de plaines, crues torrentielles, effondrement sur cavités, etc., c’est-à-dire une grande partie de ce qu’il est commun d’appeler les « risques naturels » (cf. encart). Par contre, le linéaire côtier très étendu du massif armoricain, plus ou moins bâti, confère à cette région une vulnérabilité particulière aux risques littoraux associés, entre autres phénomènes générateurs, aux tempêtes.

Les inondations, notamment dans les secteurs estuariens et les cours d’eau, sont aussi un des aléas les plus fréquents en Bretagne. Enfin, d'après les recherches menées sur les séismes historiques à l’échelle nationale, le risque séisme, bien que généralement de faible intensité dans la région, concerne la totalité des communes de Bretagne.

Ces risques naturels sont recensés à travers plusieurs documents administratifs élaborés généralement à l’échelle communale. Deux d’entre-eux, les Dossiers Départementaux sur les Risques Majeurs (DDRM), d’une part, et l’inventaire des Arrêtés de Catastrophe Naturelle (CatNat), d’autre part, sont, malgré un certain nombre de limites, particulièrement intéressants à prendre en compte pour la connaissance, à la fois dans le temps et dans l’espace, des risques naturels régionaux.

Les DDRM du Finistère (2006), du Morbihan (2009), de l’Ille-et-Vilaine (2004), des Côtes-d’Armor (2005) et de la Loire-Atlantique (2008), réalisés à différentes dates et mis à jour au fur et à mesure de l’acquisition des nouvelles connaissances, inventorient ainsi les risques identifiés dans chaque commune selon la typologie des risques naturels établie par Prim.net (http://www.prim.net/). L’examen de ces documents montre ainsi, qu’en moyenne seulement 2,8 risques sont identifiés par commune. Néanmoins, au moins un risque naturel est identifié dans chacune des 1489 communes de la région.

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En l’occurrence, il s’agit, dans ce cas, du risque sismique pour lequel l’aléa est surtout important en Loire-Atlantique. A l’inverse, dans certaines communes, de 10 à 13 risques ont été reconnus. Le risque le plus commun est, comme sur le territoire métropolitain, l’inondation qui est identifiée dans 870 communes (58,4 %). Viennent ensuite les phénomènes liés à l’atmosphère identifiés dans 766 communes (51,4 %), parmi lesquels les tempêtes et les grains, dont le risque intéresse 394 communes (26,5 % des communes de la région). De manière surprenante, les risques littoraux de submersion et d’érosion littorale ne paraissent pas numériquement importants. En effet, sur les 446 communes littorales que comptent les cinq départements considérés, ces risques littoraux sont identifiés respectivement dans seulement 62 et 14 communes alors que la carte des aléas établie à partir des données Eurosion met en évidence 126 communes dont le linéaire côtier est soumis à l’érosion, au sein desquelles les enjeux humains et bâtis ont été progressivement accumulés en arrière du trait de côte pour plus de 80 d’entre-elles. Ces enjeux sont constitués par les personnes et les biens installés sur ces territoires : zones bâties résidentielles ou à vocation économique (industries, artisanat ou exploitations agricoles) et réseaux qui les desservent. Tous sont susceptibles d'être impactés par ces aléas. Pour le risque d'érosion du trait de côte, tout comme pour le risque de submersion, les dénominations utilisées posent problème car il apparaît que l’érosion du trait de côte et le recul des falaises sont, dans nombre de cas, assimilés au risque mouvement de terrain, tandis que le risque inondation dans certaines communes n’est pas systématiquement distingué en submersion ou inondations liées aux eaux continentales, d’où l’apparente absence de risques côtiers dans certaines communes littorales.

Des confusions apparaissent ainsi dans la dénomination des risques qui brouillent de manière importante la comparaison d’une commune à l’autre et, plus encore, d’un département à l’autre. De ce fait, la distribution géographique des différents risques identifiés dans la région montre une certaine hétérogénéité dans leur recensement à l’échelle des départements. Malgré l’ancienneté de ces démarches de recensement des risques naturels, il apparaît que les limites administratives l’emportent encore sur la réalité de la distribution des phénomènes. Ainsi, visiblement, leur identification a été plus poussée dans les communes des Côtes-d’Armor. C’est le cas en particulier pour le risque atmosphérique et pour les risques littoraux qui ne sont, par exemple, pas identifiés en tant que tels dans le Finistère.

Cette approche par les DDRM n’est, par conséquent, pas suffisante tant que, d’une part, l’homogénéisation du recueil de l’information servant à définir les risques naturels ne sera pas réalisée à l’échelle régionale et nationale, et que d’autre part, chaque risque naturel identifié sera, par ailleurs, attribué à l’ensemble du territoire communal même si, comme c’est souvent le cas, il ne concerne qu’une petite partie de la commune. Ainsi, pour certains aléas tels que les inondations pour lesquels une cartographie précise des zones affectées a pu être, à l’heure actuelle, réalisée, il apparaît que les territoires concernés sont généralement limités aux fonds de vallée sur des sections de cours d’eau. Enfin, en attribuant un ou des risques à un territoire communal, une information relative à l’intensité des aléas faciliterait la compréhension de leur distribution géographique.

L’analyse et la cartographie des statistiques d’Arrêtés de « catastrophe naturelle » (Catnat) par commune inventoriée dans la base de données Gaspar établie à partir de 1982, permet de disposer d’un second indicateur de risques « naturels ». Gaspar a été établie dans le but de construire une mémoire des catastrophes naturelles passées en France et, de ce fait, de constituer une information de référence sur les aléas et les dommages consécutifs de leur survenue. Y sont ainsi consignés tous les arrêtés de catastrophe naturelle enregistrés depuis 1982 pour chaque commune de France (http://macommune.prim.net/gaspar/). En Bretagne, selon la typologie de ces Catnat (1982 à 2010), ce sont les inondations associées à des coulées de boue (2777 communes concernées), les tempêtes (1275 communes concernées) ainsi que les inondations associées à des coulées de boue et des mouvements de terrain (1117 communes concernées) qui, donnent lieu au plus grand nombre d’arrêtés.


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Les chocs mécaniques liés à l’action des vagues associés ou non à des inondations, des coulées de boue ou encore des mouvements de terrain justifient ensuite quelques centaines d’arrêtés de Catnat, tandis que les autres phénomènes ne représentent plus que quelques dizaines de cas, voire quelques cas isolés (effondrements de terrain, éboulements rocheux, séismes, etc…). Tous types confondus, de 1982 à 2010, la totalité des communes de la région a été concernée par au moins un arrêté tandis que 13 d’entre-elles ont connu entre 11 et 13 arrêtés de Catnat en 28 ans, soit une reconnaissance d’état de catastrophe naturelle tous les 2 ans environ pour ces dernières, la moyenne pour l’ensemble des communes s’établissant aux environs de 4 (3,96) en 28 ans, soit un arrêté tous les 7 ans. Depuis 1982, aucune année n’a été exemptée d’au moins un arrêté et l’année 2002, avec seulement 4 Catnat, est l’année la moins pourvue. A l’inverse, les années 1987 (1276 cas), 1995 (743 cas) et les années successives 1999, 2000 et 2001 (respectivement 1542, 260 et 311 cas) ont été particulièrement marquées par les catastrophes naturelles (ouragan, tempêtes et inondations). A côté de ces années très défavorables, les années 2008 et 2010, bien qu’affectées, entre autres, par les fortes tempêtes Johanna puis Xynthia, notamment sur les communes littorales de la région, apparaissent modérément marquées (respectivement 168 et 226 arrêtés de Catnat) : leur intensité n'a pas atteint celle de l'ouragan des 15 et 16 octobre 1987, qui pour la dernière moitié du 20e siècle reste la référence en la matière.

Les inondations qui sont le type de catastrophe naturelle le plus fréquent dans la région sont particulièrement intéressantes à suivre du point de vue de leur distribution géographique et de leur chronologie.


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Ce type d’analyse spatio-temporelle réalisée à l’échelle régionale montre tout l’intérêt de l’utilisation des Catnat comme indicateur de risque naturel. A travers les cartographies produites, il est ainsi possible de mettre en évidence non seulement les années propices aux inondations mais également l’emprise géographique et le « déplacement » de ces catastrophes naturelles (en gardant en tête que ce sont les territoires communaux qui sont concernés par les arrêtés et pas uniquement les lieux ayant subi l’inondation). En 1995 les inondations ont concerné la presque totalité de la région. En 2000 et 2001 elles se sont produites successivement à l’ouest puis au sud de la région.

Néanmoins, cette source de données pose aussi plusieurs problèmes méthodologiques. D’une part, cette base de données inventorie les arrêtés ministériels de reconnaissance des états dits de « catastrophe naturelle » qui font suite aux demandes des maires en vue de l’indemnisation des victimes par les assurances. Il ne s’agit donc pas de statistiques sur les aléas, ni même sur les dommages réels, mais sur les demandes d’indemnisation qui fluctuent selon la réactivité des communes, leurs connaissances des procédures et les pressions exercées par les riverains.

D’autre part, la typologie des aléas utilisée dans cette base, si elle convient aux procédures d’indemnisation, ne correspond pas toujours à la réalité du terrain. Elle diffère par ailleurs quelque peu de la nomenclature utilisée pour la définition des risques naturels et connaît, dans son utilisation, les mêmes travers liés au vocabulaire définissant les risques qui conduit, par exemple, à distinguer ou non les processus littoraux des processus continentaux. Il est par exemple quasiment impossible d’y distinguer un processus d’érosion côtière d’un glissement de versant. Beaucoup de précautions sont donc nécessaires pour analyser ces données qui nous fournissent néanmoins des indications précieuses sur les risques naturels.

Les principaux aléas « naturels » à laquelle la Bretagne est exposée sont donc les inondations, l’érosion côtière et les submersions. Ces aléas ont pour origine des phénomènes météorologiques (vents, précipitations, pression atmosphérique) et leurs effets sur la mer (vagues, houles et surcotes marines), ainsi qu’à des phénomènes astronomiques (marées). Lorsque ceux ceux-ci sont conjugués (tempête et pleine mer de vive-eau) ils entraînent souvent d'importants dégâts sur les côtes et les fonds d’estuaires anthropisés. Par ailleurs, les tempêtes peuvent aussi engendrer des dommages, à la fois sur le continent, et en mer en termes de naufrages et, parfois, de marées noires. Ce fût le cas, pour ne citer que les plus tristement célèbres et les plus importantes d'entre elles, en 1967 avec le Torrey-Canyon (côtes de Granit Rose), en 1978 avec l'Amoco-Cadiz (de la baie d'Audierne à la baie de Saint-Brieuc), en 1999 avec l'Erika (quelques secteurs de côte du sud et de l'est de la région), et en 2002 avec le Prestige (côtes sud de la région).

Mais les aléas seuls ne permettent pas d’analyser les risques : il est en effet nécessaire de les croiser avec les enjeux (c'est-à-dire les biens exposés à l’aléa) pour comprendre la vulnérabilité d’un territoire. Les arrêtés de catastrophes naturelles, de plus en plus fréquents reflètent moins une croissance des aléas qu’une faible maîtrise des enjeux et tout particulièrement des constructions réalisées ces dernières décennies dans des secteurs exposés à de forts aléas.



L’émergence du risque

La frange côtière est caractérisée par une mobilité permanente et particulièrement rapide à l’échelle du temps géologique, mais aussi à l’échelle humaine. Parallèlement, depuis le dix-huitième siècle, des enjeux sans cesse grandissants se sont concentrés sur cet espace étroit et mouvant.

Recul du trait de côte vers la terre, glissement des installations humaines vers la mer, évolution naturelle et l’occupation humaine du rivage ont abouti au cours du siècle passé à un prévisible "télescopage". Ces dynamiques convergentes sont à l’origine de l’émergence, puis de la multiplication des risques liés à la mobilité du trait de côte, qui tendent à se généraliser sur la plupart des littoraux urbanisés du monde. Elles sont explicitées dans le texte placé dans le TIROIR MILIEU NATUREL.


En Bretagne, comme dans beaucoup de régions françaises littorales et (ou) touristiques, la multiplication des constructions en zones inondables ou submersibles reste la cause principale de l’augmentation de la vulnérabilité ; les dernières tempêtes comme Johanna en 2008 et plus cruellement Xynthia en 2010 l’ont récemment rappelé. Une meilleure culture du risque intégrant la compréhension et l’acceptation des dynamiques naturelles, côtières et hydrologiques, permettrait de réduire la demande de constructions en zones exposées. La récente directive européenne « inondation »1, ainsi que la relance et la révision des PPRL (Plans de Prévention des Risques Littoraux) suite au drame de Xynthia devraient également contribuer à renforcer la vigilance sur la maîtrise de l’occupation des sols et donc à diminuer la vulnérabilité des territoires.



L'ouragan des 15-16 octobre 1987 en Bretagne

La Bretagne est sous l'influence des flux atmosphériques d'ouest des latitudes tempérées dans lesquels, notamment en saison hivernale, se développent des tempêtes en association avec des perturbations actives. Ces événements météorologiques sont nécessairement associés à de faibles pressions atmosphériques. La tempête correspond à la force 10 de l’échelle anémométrique de Beaufort avec des vents dont la vitesse moyenne est supérieure à 89 km/h, soit 48 nœuds. Elle est qualifiée de violente tempête lorsque la force 11 (vitesse de vents de 103 à 117 km/h) est atteinte, puis d'ouragan pour la force 12 (vitesse de vent dépassant les 118 km/h). La puissance du vent étant proportionnelle au carré de sa vitesse, lorsque sa vitesse double, sa puissance destructrice est multipliée par quatre. Ainsi, pour une vitesse de 50 km/h, sa puissance est de 13 kg/m². Elle est de 51 kg/m² pour un vent de 100 km/h et passe à 204 kg/m² pour un vent de 200 km/h. Ce sont les tempêtes de forte intensité et de faible fréquence d'apparition qui ont les plus forts impacts et qui, de fait, marquent le plus les mémoires. A cet égard, la forte tempête qui a traversé la Bretagne du sud au nord dans la nuit du 15 au 16 octobre 1987 reste une référence.

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Elle fut qualifiée d'ouragan puisque les vents ont, sur une grande partie de sa trajectoire continentale, dépassé le seuil des 118 km/h pour atteindre localement des vitesses proches de 220 km/h tandis que la pression atmosphérique s'abaissait à 948 hPa. En mer, des vagues de 12 à 18 m ont alors été observées en Manche. Elle provoqua la mort de 4 personnes et des dommages considérables au bâti, aux réseaux aériens d'électricité et de téléphone, aux installations portuaires,… et à la forêt bretonne. Le quart de cette forêt fut alors dévasté.

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Dans les régions littorales, les tempêtes les plus redoutées sont celles qui associent des vents de mer de forte intensité, de basses pressions atmosphériques et une pleine mer de vives eaux. Ce sont là les conditions propices à la génération d'une surcote, c'est-à-dire à une élévation supplémentaire du niveau de la mer par rapport au niveau prédit par les annuaires de marée et, par conséquent, à une augmentation des risques côtiers d'érosion et de submersion ainsi que le renforcement du risque d'inondation à l’intérieur des terres par ralentissement des écoulements fluviatiles. Lors de l'ouragan de 1987, la surcote engendrée par les vents violents poussant la mer vers les côtes (surcote dite anémométrique) et l'élévation du niveau de la mer liée aux faibles pressions atmosphériques (surcote barométrique) se sont conjuguées. C'est, au final, une surcote totale de 1,45 m qui a été enregistrée par le marégraphe de Brest.


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Une surcote d'une telle ampleur, qui ne tient pas compte de l'élévation supplémentaire liée à la hauteur des vagues générées par les vents violents, n'avait jamais été mesurée auparavant. A titre de comparaison, cette surélévation est proche de la surcote de 1,53 m enregistrée à La Rochelle et dépasse celle de 1,16 m observée en février 2010 à Saint-Nazaire lors de la tempête Xynthia qui s'est produite avec des coefficients de marée de 102.Conjuguée à une pleine mer de vives-eaux, la surcote associée à l'ouragan de 1987 aurait certainement produit une onde de tempête et alourdit les bilans humains et matériels. Par chance, les coefficients de la marée de ces deux jours étaient faibles : 25 et 24.

Coïncidant avec des coefficients de marée de 106 le matin et 104 l'après midi, la tempête Johanna du 10 mars 2008 a produit de très nombreux dommages sur les littoraux du nord-ouest de la France et particulièrement sur la région. De nombreux cas de submersion se sont produits du sud de la Bretagne à la Haute-Normandie, de fortes érosions du trait de côte ont été observées dans le Finistère et des dommages importants sur les habitations, les infrastructures portuaires et les ouvrages de défense contre la mer ont pu être alors constatés.

Directive 2007/60/CE 23 octobre 2007.




Références bibliographiques :

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  • Cariolet J.-M., Costa S., Caspar R., Ardhuin F., Magne R., Goasguen G., 2010. Aspects météo-marins de la tempête du 10 mars 2008 en Atlantique et en Manche. Norois, n° 215, 2010/2, p. 11-31.
  • Cariolet J.-M., 2011. Inondation des côtes basses et risques associés en Bretagne. Vers une redéfinition des processus hydrodynamiques liés aux conditions météo-océaniques et des paramètres morpho-sédimentaires. Thèse de Doctorat, UBO.
  • D'Ercole R. et Pigeon P., 2000. L'évaluation du risque à l'échelle internationale. Méthodologie et application aux diagnostiques préalables aux actions de préparation et de prévention des catastrophes, Cahiers savoisiens de géographie, n°1, p. 29-36.
  • Eurosion, 2004 Living with coastal erosion in Europe: Sediment and space for sustainability. Part II - Maps and statistics. 25 p.
  • Hénaff A., 2004. Les aménagements des littoraux de la Région Bretagne en vue de leur défense contre l'érosion depuis 1949.Bulletin de l'Association de Géographes Français, n°3, p. 346-359.
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  • Meur-Ferec C., 2008. De la dynamique naturelle à la gestion intégrée de l'espace littoral : un itinéraire de géographe. Edilivre, Collection universitaire, Paris, 250 p.
  • Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, Ministère de l'Equipement des Transports et du Logement, 1997. Plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPR), guide général. La Documentation Française, Paris, 76 p. Observatoire du Littoral, 2011. Indicateur : arrêtés de catastrophe naturelle dans les communes littorales. Fiche SoeS, http://www.littoral.ifen.fr/Risques.109.0.html
  • Perherin C., Roche A., Pons F., Roux I., Desiré G., Boura C., 2010. Vulnérabilité du territoire national aux risques littoraux. Journées Nationales Génie Côtier – Génie Civil, Sables-d’Olonne, 22-25 juin 2010, Cetmef et CETE Méditerranée et CETE Ouest, p. 617-624
  • Suanez S., Cariolet J.-M., 2010, L'action des tempêtes sur l'érosion des dunes : les enseignements de la tempête du 10 mars 2008. Norois, n° 215, 77-99.


TIROIR : Milieu naturel

Documents consultables dans ce tiroir :



La côte, territoire à risques

Auteur : Catherine Meur-Férec



L’émergence du risque

La frange côtière est caractérisée par une mobilité permanente et particulièrement rapide à l’échelle du temps géologique, mais aussi à l’échelle humaine (cf. chapitre I, partie 2.2). Parallèlement, depuis le dix-huitième siècle, des enjeux sans cesse grandissants se sont concentrés sur cet espace étroit et mouvant (cf. chapitre I, partie 2.3).

Recul du trait de côte vers la terre, glissement des installations humaines vers la mer, l’évolution naturelle et l’occupation humaine du rivage ont abouti au cours du siècle passé à un prévisible "télescopage". Ces dynamiques convergentes sont à l’origine de l’émergence, puis de la multiplication des risques liés à la mobilité du trait de côte, qui tendent à se généraliser sur la plupart des littoraux urbanisés du monde. (Meur-Férec et Morel, 2004 (1)).


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Cette émergence des risques est le fruit des dynamiques spatio-temporelles de l'éco-sociosystème côtier. Ainsi, "en fonctionnant, les composantes d'un système géographique se transforment et suscitent des phénomènes d'émergence" (Lussault, 1997). Dans les théories de la complexité (Dauphiné, 2003), "l'émergence est assimilable à l'apparition de nouvelles propriétés dans un ensemble donné". Dans le système complexe de l'espace côtier, l'émergence au dix-neuvième siècle, puis l'accroissement au vingtième siècle, des risques constituent bien une "nouveauté". Toujours selon A. Dauphiné, "Ce qui qualifie un phénomène émergent, c'est une propriété collective, mais absente dans chaque élément du système." L'élément "naturel" du système, d'une part, ne présente pas de caractère de risque puisque la mobilité du trait de côte ne pose de problème que lorsqu'il y a des enjeux. L'élément "humain", d'autre part ne présente pas en soi non plus un risque, puisque c'est sa position près de la côte qui le rend vulnérable. C'est donc bien le fonctionnement du système, combinant deux dynamiques convergentes, qui conditionne l'émergence de l'objet risque sur le territoire côtier. Ce sont les conditions de cette émergence que V. November (2002) appelle "la spatialité du risque". Les risques liés à la mobilité du trait de côte seraient ainsi des risques très fortement "territorialisés" puisque attachés et intrinsèquement liés à des particularités territoriales.



Les logiques du choix d'investir ce territoire à risques

Même si chacun n'en mesure pas l'ampleur, les risques côtiers, et les difficultés de gestion ainsi que les coûts financiers qui en découlent, sont connus depuis plus d'un siècle, au moins des propriétaires fonciers et des services de l'État. Les archives du Service Maritime des ports de Boulogne et Calais, entre autres, témoignent de la relativité de cette "nouveauté". Ainsi, le rapport d’un ingénieur des travaux publics fait état de la situation critique soulevée dès 1884 par les propriétaires de dunes qui avaient perdu plus de 30 mètres de terrain en moins de 20 ans (figure 17).


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On peut alors se poser la question : pourquoi la pression urbaine et touristique reste-t-elle aussi forte sur ce territoire à risques qu'est la frange côtière ? (Meur-Férec, 2002 (2))

Une des raisons principales pour s'installer à proximité immédiate du trait de côte est certainement l'agrément que procure cette situation. La vue sur mer, l'accès direct à la plage constituent ce que les économistes appellent des aménités, très prisées dans nos sociétés urbaines contemporaines (Longuépée, 2003). Cet héliotropisme (Corlay, 1995) est exploité par les agences immobilières (figure 18) qui jouent sur cette attirance pour la mer en mettant en avant une "situation exceptionnelle face à l'océan", "les pieds dans l'eau", etc.


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Pourtant, la mer est un élément ambivalent dans le système des risques côtiers. Vecteur d'aménités, elle est aussi source de risques (Morel, Deboudt, Herbert, Longuépée., Meur-Férec, 2004 (3)). En effet, la mer est d'une part le moteur des aléas côtiers (submersion, érosion), mais d'autre part, ses ressources (pêche, ports) et les aménités procurées par sa proximité (vue, bain, ambiance) sont à l'origine de la multiplication des enjeux sur la frange côtière. Ainsi, c'est le caractère ambivalent de la mer qui génère à la fois les aléas et les enjeux dont la combinaison crée les risques côtiers. Si l'eau était seulement dangereuse, personne ne chercherait à s'installer à proximité et si elle était uniquement source d'agréments, il n'y aurait pas d'aléa et donc aucun risque (4).

Un autre argument de poids pour investir en bord de mer est l'intérêt économique évident, du moins à court terme. Un restaurant, un hôtel, un bar ou un logement aura beaucoup plus de valeur économique s'il donne directement sur le front de mer. À titre d'exemple, à Bray-Dune (59), le prix de vente dans un immeuble neuf bâti sur le digue est en moyenne de 1500 €/m² avec vue "sur l'arrière" contre 2 300 €/m² côté mer. La vue sur mer entraîne donc ici, à elle seule, une plus value de l'ordre de 50 % (Agence des Dunes, Dunkerque, communication personnelle, 2003).

Mais l'échelle de temps à laquelle se fait ce calcul nuance le raisonnement. Si l'on se place dans une logique de court ou moyen terme (celui d'une vie humaine au maximum), les arguments pour l'occupation du rivage, qui sont surtout le fait des particuliers et des entreprises privées, l'emportent largement. En revanche, dans un raisonnement à long terme d'aménagement et de développement "durables", qui émane normalement des collectivités territoriales et surtout de l'État, le bilan pencherait plutôt vers les "contre".

Ceci nous amène à considérer qu'il est essentiel, pour comprendre, d'identifier les acteurs qui profitent de la prise de risques et ceux qui prennent les risques (November, 2004 ; Ziegler et al., 1983). Ce ne sont souvent pas les mêmes. Ainsi par exemple, les promoteurs immobiliers bâtissent, puis vendent, les appartements à des particuliers qui assureront les frais d'entretien et se retourneront vers les pouvoirs public en cas de catastrophe "naturelle" (défense contre la mer financée essentiellement par des crédits publics, fonds d'indemnisation) (cf. partie 1.2.2). En cas de risque avéré, on assiste classiquement à un glissement de la sphère du privé (promoteur, exploitants, particuliers) vers celle du public.

En sus de l'attrait de la mer et des arguments économiques qui y sont liés, l'occupation du trait de côte reflète un certain déni des contraintes naturelles. Ainsi, la méconnaissance parfois, mais surtout la non prise en compte de la mobilité intrinsèque des côtes est un facteur de la croissance des risques côtiers. Les fortes contraintes environnementales de la frange côtière n'ont souvent pas été perçues dans toute leur importance, soit en raison d'une mémoire collective trop courte, soit à cause d'une confiance aveugle dans l'ingénierie ou l'interventionnisme des pouvoirs publics (Miossec, 1993). Ce déni des contraintes naturelles, qui se matérialise encore par des projets de nouvelles constructions dans des zones de fort aléa (Berck, 62), accroît considérablement les enjeux et donc la vulnérabilité.

Certaines réactions sont révélatrices de cette déresponsabilisation et de cette insouciance. Ainsi, les personnes concernées semblent souvent ne pas avoir pris conscience du risque avant l'événement catastrophique, d'où un sentiment de surprise ou de colère, voire un véritable traumatisme. Ainsi, dans La Voix du Nord du 27/09/2001 au sujet de l'érosion de la falaise de Wimereux (62), on décrit des " propriétaires désireux de comprendre ce qui se passe et dont le moral, pour certains, semble s'effriter aussi vite que la falaise ". On parle aussi de " coûts humains difficilement supportables " comme le " déracinement qu'il (le risque d'érosion) laisse présager pour de très vieilles familles locales, souvent issues de la pêche, et très attachées à leur quartier " (La Gazette du Nord-Pas-de-Calais, 6-9 oct 2001). On peut s'étonner cependant que d'anciennes familles de pêcheurs n'aient aucune notion sur l'érosion des falaises côtières…

On touche là un autre type de raisonnement, l'appropriation du territoire, souvent présentée comme ancestrale, traditionnelle et identitaire. Ces arguments sont essentiellement avancés par des particuliers, des associations de propriétaires possédant des constructions en bord de mer ou des élus défendant leur électorat. On constate en effet que, même si les propriétés sont manifestement sujettes à l'érosion, inondables ou en voie d'ensablement, elles seront néanmoins, et peut être d'autant plus, défendues et investies. Cette réaction fréquente peut être illustrée par le cas des Bas-champs de Cayeux (80) où " la protection de 1 600 hectares de terres agricoles, habitées par une dizaine de personnes, est estimée à 130 millions de francs pour les dix années à venir " (Regrain, 1992). Cette position de défense acharnée relève à la fois d'un attachement à un patrimoine personnel, souvent transmis par héritage, mais aussi probablement d'une volonté de ne pas céder devant les forces de la nature. Ainsi par exemple, au sujet de maisons menacées d'effondrement en sommet de falaise, le maire de Wimereux défendait en 2001 les travaux de protection : " Pas question de ne rien faire. La municipalité veut absolument préserver ce quartier urbanisé " (La Voix du Nord, 14/09/2001). " Sans ces constructions, nous laisserions faire la nature " (La Gazette Nord-Pas-de-Calais, 6-9 oct. 2001). Cette position s'apparente à un réflexe de défense de la propriété, parfois en dehors de toutes considérations économiques et éthiques. Ainsi, même si les coûts de démolition et d'indemnisation (généralement supportés par la collectivité) sont bien inférieurs aux coûts de protection, les propriétaires essaient généralement, dans un premier temps du moins, de protéger ou de faire protéger leurs biens.

Les raisons sont donc multiples pour s'implanter et défendre ses positions sur la frange côtière. Pourtant, elles sont aussi nombreuses, surtout à long terme, pour ne pas le faire. Finalement, c'est l'équilibre dynamique de chaque situation, de chaque sous éco-socio-système côtier, qui détermine au cas par cas les décisions en matière de construction et de défense du bâti. La passion des débats reflète en tous cas la force de l'appropriation et de l'investissement du territoire côtier.

Dans ce contexte, de quelles façons les politiques publiques peuvent-elles contrôler, ou tout au moins réguler l'occupation de la côte et gérer l'accroissement de la vulnérabilité face aux risques naturels ? Comment peuvent-elles tenter d'inverser la tendance d'un bilan où les avantages à s'installer sur la frange côtière restent pour beaucoup (mais pas pour la collectivité) supérieurs aux inconvénients ?



Notes :

1) Meur-Férec C. et Morel V. (2004) L'érosion sur la frange côtière : un exemple de gestion des risques. Nature Science et Société 12, p. 263-273.

2) Meur-Férec C, (2002) L'occupation du littoral, ou le choix d'investir un territoire à risques. Océanis, n° 28, 1-2, p. 115-137.

3) Morel V., Deboudt Ph., Herbert V., Longuépée J.,Meur-Férec C. (2004) L’ambivalence de l’eau, vecteur d’aménités et de risques, sur les territoires côtiers. Acte du séminaire "Les territoires de l'eau", Université d'Artois, 26 mars 2004. Revue électronique Développement Durable et Territoires, p 142-155.

4) Cette logique s'applique également sur le bord des cours d'eau, comme l'a démontré J. Longuépée dans sa thèse de doctorat en économie (2003).


Les enrochements littoraux en Bretagne nord, quel impact sur l’environnement ?

Une analyse de Louis Chauris

Louis Chauris, directeur de recherche au CNRS , retraité mais toujours actif, a consacré sa longue carrière aux roches du Massif Armoricain, leur nature et leur utilisation par les Bretons.
Penn ar Bed, la revue naturaliste de Bretagne Vivante, a consacré son N°229 de décembre 2017 à une synthèse de cet auteur sur les enrochements littoraux en Bretagne nord. Louis Chauris, qui a publié plusieurs articles sur ce sujet, est reconnu comme l’un des experts les plus qualifiés. Homme de terrain, il est l’auteur de toutes les photographies du N°229, bien mises en valeur par la maquettiste Bernadette Coléno.
Louis Chauris a accepté, en accord avec François de Beaulieu, directeur de Penn ar Bed, que des extraits de cette étude soient mis en ligne dans la Géographie Numérique de la Bretagne (GNB). Grâce à quoi, la GNB contribuera à la diffusion de travaux de recherche scientifique susceptibles d’alerter la population, ses élus et administrateurs, sur la dégradation de notre capital naturel maritime. (Présentation de Pierre-Yves Le Rhun)

Abonnements à Penn ar Bed : Bretagne Vivante-SEPNB, 19 route de Gouesnou, 29200 BREST Téléphone : 02 98 49 07 18 Courriel : contact@bretagne-vivante.org
www.bretagne-vivante.org/Nos-revues/Penn-ar-Bed


Depuis quelques dizaines d’années, le trait de côte de la Bretagne subit de profondes transformations anthropiques qui bouleversent progressivement l’environnement où, antérieurement, seules les forces naturelles étaient en action. En fait, ces modifications avaient débuté voilà déjà fort longtemps – que l’on songe aux vastes terrains gagnés sur la mer en baie du Mont-Saint-Michel ou, dans une moindre mesure, en baie de Goulven et ses abords… Mais ces métamorphoses restaient, au total, relativement isolées – ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui.


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Sous le couvert d’« aménagements », ces transformations s’avèrent si multiformes dans leurs modalités et dans leur ampleur qu’un choix a dû présider à l’élaboration de nos propos. La partie méridionale de la péninsule n’est pas ici envisagée ; malgré quelques singularités, sa description aurait, à l’évidence, entraîné des répétitions inutiles. En Bretagne septentrionale, et pour les mêmes raisons, il a fallu aussi limiter l’exposé des résultats obtenus. Il a paru toutefois que le nombre des sites examinés est largement suffisant pour permettre de présenter de solides conclusions. Dans ce cadre, les investigations se sont étendues depuis la presqu’île de Crozon (Camaret et Morgat) à l’ouest, jusqu’à la baie du Mont-Saint-Michel (le Vivier-sur-Mer) à l’est. Certains secteurs sont envisagés plus en détail, telle la baie de Morlaix, d’autres plus rapidement esquissés.

La première question qui se pose est évidemment le pourquoi de tels aménagements. Les motifs sont d’ordres fort divers :


a. gagner des terrains sur la mer pour les livrer à la culture (polders) ; c’est le cas le plus ancien ; ici, il s’agit d’« enrochements » sensu lato – à savoir le plus souvent, de « digues » – et non pas d’enrochements sensu stricto, tels qu’ils sont entendus aujourd’hui, aussi ne sont-ils mentionnés ici que pour mémoire, d’autant plus qu’ils ont déjà fait l’objet de plusieurs études (baie du Mont-Saint-Michel, très étendus ; plus limités, encore que significatifs, dans le pays de Léon en bordure de la « ceinture dorée » ; au XIXe siècle, aber de Roscoff, baie de Goulven au Kernic et à l’embouchure de la Flèche, à Kerlouan…) (Yoni et al., 1994) ;
b. protéger le littoral naturel contre l’érosion ;
c. sauvegarder les voies de communication et l’habitat menacés ;
d. créer, de toutes pièces, le plus souvent pour la plaisance, des ports, en dehors des havres façonnés par la Nature ;
e. un cas tout à fait particulier concerne le rejet, sur l’estran, des déchets de carrières. Morphologiquement, ces différentes modalités peuvent se répartir en deux grands types, parallèles ou perpendiculaires au rivage.

Toutes ces transformations ont nécessité d’énormes volumes de roches, soulevant – sauf, évidemment dans le cas e. - des problèmes d’approvisionnement. Si localement, les estrans voisins ont pu, essentiellement dans le passé, offrir sur place ou presque, les pierres nécessaires, aujourd’hui, les enrochements s’effectuent à partir de grandes carrières, illustration nouvelle d’utilisation de la pierre. Ces matériaux doivent répondre à un certain nombre de contraintes, en particulier de dimension, pour résister aux assauts de la mer ; éventuellement, vient s’ajouter la densité ; en outre, pour diminuer au maximum le prix de revient, les points d’extraction doivent être situés à des distances « raisonnables » des chantiers littoraux.

En un mot, si naguère, ces travaux étaient essentiellement en maçonnerie, à présent, la caractéristique des enrochements est d’être constituée de blocs énormes, informes ou non, assemblés sans liant. Ce sont à ces enrochements sensu stricto que vont dorénavant se limiter nos propos.


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Protection du littoral resté jusqu’alors « naturel »

• À l’île Callot en baie de Morlaix

L’examen comparé du cadastre remontant à 1827 et des dernières cartes de l’IGN et du SHOM permet de visualiser en plusieurs points le recul du trait de côte à Callot : disparition de l’isthme réunissant Ar Run et Ru Lann, rétrécissement des isthmes entre Ar Run et Pennénez, au sud de Penn ar Waremm et surtout au sud de la chapelle… Les avancées de la mer se produisent essentiellement aux dépens des formations meubles : limons et sables dunaires ; sur les pointes rocheuses, le recul est nul ou presque, sauf si la fracturation est importante.
Pour pallier cette évolution naturelle du rivage, des enrochements ont été exécutés à une période relativement récente. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont défiguré une partie du littoral insulaire, et, plus attristant, on peut même, dans certains cas, comme le long de la belle plage près de la tourelle Mazarin (au sud de Penn ar Waremm, côté ouest), dans un secteur dépourvu de toute habitation, constater – en sus de leur laideur – leur inefficacité criante. Sur le haut de la plage, les enrochements, essentiellement en boules de granite local, forment une ou deux assises (disposées en vrac) ; aujourd’hui, en plusieurs points, la plage s’étend en arrière des enrochements, débordés, jusqu’au pied de la falaise limoneuse et dunaire… qui continue à s’ébouler. Il ne faut pas confondre les boules granitiques prélevées sur l’estran pour servir d’enrochement avec les boules encore en place dans leur couverture limoneuse en voie d’attaque rapide par la mer (secteur septentrional de la plage, côté est, au sud de Penn ar Waremm).
Si, comme indiqué, quelques enrochements ont été effectués avec boules granitiques locales alignées le long du rivage malmené, parfois associées à des amphibolites également d’origine proximale, de plus en plus appel est fait à des matériaux de provenance nettement plus lointaine, tout particulièrement au gabbro et au granite extraits dans l’immense carrière de Dividou ouverte dans la commune de Garlan, en bordure de la route de Morlaix à Lanmeur. Du fait de leur densité élevée (de l’ordre de 3), les gabbros sont très appréciés pour les enrochements littoraux (la densité moyenne des granites est seulement de 2,7). À Porz-an-Ilis, protection a été entreprise localement avec des matériaux artificiels remployés, à savoir des « tripodes » datant de la dernière guerre.


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Voici quelques exemples parmi d’autres. À l’entrée sud de Callot, boules de granite insulaire. Sur la grève au sud-ouest de Pennénez, principalement gabbro de Dividou en blocs informes, accessoirement granite de la même carrière, rarement granite et amphibolite de Callot. Sud de Porz-an-Ilis, surtout boules de granite insulaire. Grève à l’ouest de la chapelle, matériaux divers selon les points : gabbro et granite du Dividou, orthogneiss dioritique local ; déversement « sauvage » de granite, pegmatite, amphibolite, orthogneiss dioritique, voire même un énorme bloc de granite à feldspath blanc portant des trous pour l’emplacement des coins… tous de provenance locale. Localement, la protection du rivage a été manifestement l’œuvre de particuliers : muret maçonné polithique (granite, pegmatite, amphibolite, parfois galets).


Devant l’habitat

• À Porz Paol, un premier enrochement avait été effectué avec des blocs en granite rose de La Clarté (Ploumanac’h) fréquemment de fortes dimensions, mais souvent de contours irréguliers, laissant entre eux des vides, tapissant, sur plusieurs mètres de haut, la falaise limoneuse. Sa solidité nous avait paru quelque peu aléatoire. Effectivement, lors de notre passage le 7 septembre 2003, des éboulements s’étaient déjà produits, laissant voir, par place, le limon à l’arrière des blocs. Dans ces conditions, l’enrochement a dû être entièrement refait, toujours avec le même granite de La Clarté, mais empilé en assises assez régulières (jusqu’à 8), plaquées contre la falaise. Les dimensions des blocs, plus ou moins parallélépipédiques, sont variées (longueur/hauteur en centimètres) : 70/45, 160/70, 122/71, 175/75) ; certains éléments sont de forme très irrégulière ; la hauteur de l’enrochement est d’environ 4 mètres, son allongement d’une vingtaine de mètres, son inclinaison très forte. Au total, la muraille offre un aspect cyclopéen ! Lors de nos derniers passages sur le site (25 août 2011, 24 août 2016), l’enrochement paraît stabilisé. Quelques blocs en granite et en gabbro de la carrière de Dividou ont été aussi employés.


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Infrastructures portuaires : des enrochements souvent cyclopéens

Le Conquet au débouché agité d’une ria ensablée

Le site du Conquet – dans le passé, « relâche précieuse » et « refuge » pendant la guerre, selon l’ingénieur en chef Goury (1837), aujourd’hui port de pêche et escale vers Molène et Ouessant – est resté longtemps dépourvu d’installations portuaires dignes de son importance, et dépit de la présentation de nombreux projets au cours du XIXe siècle, jusqu’à la construction, en maçonnerie, du môle Saint-Christophe de 1873 à 1876 (Chauris, 1998). Depuis cette époque, le port s’est étendu vers l’aval avec l’édification de la grande jetée (débarcadère de Sainte-Barbe) et d’un vaste terre-plein (quai Aviso Vauquois), en béton. Ces ouvrages ont été récemment renforcés par des enrochements, tant en granite à grain fin de Saint-Renan (à l’enracinement du môle Saint-Christophe) qu’en granite porphyroïde de l’Aber-Ildut et encore en granite de Saint-Renan en bordure du terre-plein.


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Création ex nihilo

• Trébeurden : reflet de l’environnement lithologique À l’extrémité méridionale de la « côte de granit rose », le port de plaisance de Trozoul, abrité au sud par la pointe du Castel et, partiellement, à l’ouest par l’île Milliau, offre une singularité assez remarquable : son exécution, qui a nécessité des masses énormes d’enrochement, a été effectuée avec des blocs rebutés des carrières de granite rose de La Clarté, c’est-à-dire avec les pierres du massif de Ploumanac’h qui forme, ici même, tout l’environnement. Ainsi, la monstruosité de l’enrochement est quelque peu atténuée par le reflet direct de la nature lithologique de son cadre : il apparaît typiquement autochtone, alors que, le plus souvent, les enrochements s’avèrent allochtones.

Les enrochements présentent plusieurs modèles différents :


• Déversement en vrac jusqu’au fond de l’eau des blocs de morphologie irrégulière.
• Éléments de très grandes dimensions posés à plat en bordure du terre-plein avec les traces des grands trous de perforation à la barre à mine.
• Tablette en pierre de taille en bordure du quai à parement vertical en béton.
• Succession de plots, équarris en taille brute, réunis par des chaînes.

En un mot, errer sur les bords du port de Trozoul permet d’admirer le beau granite de La Clarté… sans se rendre dans les carrières…

• Saint-Quay-Portrieux Il en est tout autrement du nouveau port de Saint-Quay-Portrieux, sur la rive occidentale de la baie de Saint-Brieuc, où, dans un environnement de sombres gabbros et diorites, de gigantesques enrochements ont été effectués en eau profonde en avant du trait de côte, avec les granites distaux de Lanhélin (bleu) et de La Clarté (rouge)


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Épilogue

À l’issue de ces longues errances le long des rivages septentrionaux de la péninsule bretonne, la première impression de l’auteur est le caractère très incomplet de leur présentation, tant les modalités des enrochements sont multiformes. À l’évidence, des choix s’avéraient indispensables sous peine de voir les exposés prendre d’inquiétantes proportions qui seraient bientôt, par suite des répétitions inévitables, devenues fastidieuses. Le nombre de cas envisagés a paru toutefois suffisant pour permettre quelques conclusions.

• Ampleur démesurée

Aujourd’hui, et ce depuis longtemps déjà, la « virginité » des rivages est, comme celle des paradis, perdue. Les exemples sont si nombreux que l’on hésite devant des choix impossibles ; parmi bien d’autres, la magnifique baie de Morlaix où bien peu de rives demeurent encore intouchées, du fait de l’implosion des propriétés privées riveraines qu’il a fallu « protéger », de la prolifération des routes de corniche implantées, de l’extension des infrastructures portuaires… Même la paradisiaque petite île de Callot qui divise la baie en deux parties n’a pas échappé à ces « aménagements ».

• Mutations accélérées

Longtemps le rivage a été bordé par des ouvrages en maçonnerie ou par des perrés où les pierres, le plus souvent de faible à moyenne dimension étaient simplement ajustées ; mieux, par leur provenance proximale, elles tentaient de s’intégrer dans l’environnement. Aujourd’hui, les protections s’effectuent par des enrochements, bien souvent en vrac, de blocs généralement informes et de provenance distale qui opposent un contraste violent avec l’environnement. Les anciens étaient si conscients de la beauté de leurs travaux qu’ils les soulignaient parfois par un millésime gravé dans la pierre (1839 pour la route de corniche Pennelé-Locquénolé au fond de la baie de Morlaix…). À présent, il ne vient à personne l’idée d’en perpétuer le souvenir. Dans le passé, les maçonneries étaient souvent très élégantes : que l’on songe au « Sillon » à Saint-Malo et, plus généralement, aux quais, jetées et môles des ports. En un mot, la mutation s’est traduite par le passage brutal des travaux d’art à des ouvrages bruts.

• Mutilations éhontées

Les exemples les plus significatifs sont la prolifération récente des infrastructures pour l’établissement des ports de plaisance qui, à part quelques exceptions (Lézardrieux, Le Dahouët…), apparaissent telles des verrues, défigurant, comme les visages, les rivages ! L’Homme se manifeste alors comme l’agent d’une monstrueuse « sédimentation » artificielle. Le littoral, corseté, échappe aux lois des causes naturelles.

• Indispensables ? Inutiles ?

Si, dans plusieurs cas, les enrochements s’avèrent aujourd’hui nécessaires (protection des routes et des bâtiments établis en bordure de mer), on peut toutefois faire remarquer que de tels travaux, aux conséquences si fâcheuses, eussent pu être évités si les constructions s’étaient quelque peu écartées du trait de côte… Plus grave, dans bien des cas, comme l’attestent de multiples exemples, ces enrochements se sont révélés inutiles et même opposés au but recherché, tel l’exemple désastreux du Sillon de Talbert.

• Laideur programmée

Dans bien des cas, les enrochements constituent de graves atteintes à l’environnement naturel : dunes et falaises limoneuses enrochées… Même si la végétation en atténue parfois la laideur. Ne serait-il pas à propos de rappeler ici un texte de Valéry sur la mer : « Tout ce qu’elle touche est ruine ». Mais justement les ruines ne sont-elles pas un des passages nécessaires de l’Évolution ?

• Sources de conflit

Par suite de leur localisation sur des zones naturelles éminemment sensibles, les enrochements littoraux sont, souvent, le point de départ de contentieux – entre les « décideurs » parfois soutenus par des géographes souhaitant « appliquer » leurs connaissances, et les protecteurs de la nature – souvent irréductibles, tant les points de vue s’avèrent diamétralement opposés…

• Mise en garde

Les annotations présentées dans ces pages n’auront peut-être pas été inutiles si elles contribuent à assainir le débat. Devant l’inexorable montée du niveau de la mer depuis la fin de la dernière glaciation, bien des enrochements apparaissent aujourd’hui en contradiction flagrante avec les lois de la Nature et, par suite, certainement temporaires, voire illusoires.

Références

Les problèmes des enrochements en Bretagne septentrionale ont été peu abordés de manière systématique avant les recherches de l’auteur. Afin d’éviter de trop longs développements dans le texte de cet article, il sera fait fréquemment références à ses travaux, ce qui justifie leur place importante en bibliographie.


BEAULIEU F. de 2000 – Le sillon de Talbert. Ar Men, 112, pp. 2-9.
CHAURIS L. 1991a – Les carrières et les quais de chargement du granite rose de l’Aber-Ildut. Les cahiers de l’Iroise, 150, pp. 69-78.
CHAURIS L. 1991b – Carrières au bord de la mer. Île Grande et îlots voisins (Côtes-du-Nord). 115e congrès national des sociétés savantes, colloque « Carrières et construction ». Éd. CTHS, Paris, pp. 305-321.
CHAURIS L. 1992 – Pierres d’Ouessant. Mein Eussa. Éd. Maison des minéraux, Crozon, 52 p.
CHAURIS L. 1995 – Le granite fini-dévonien cataclastique des Runiou dans le Petit Trégor (Finistère). Bull. Soc. Linnéenne de Normandie, 116, pp. 7-10.
CHAURIS L. 1996 – Les carrières de pavés à l’Île Longue. Avel Gornog 4, Crozon, pp. 40-45.
CHAURIS L. 1996 – Dépôts anthropiques en rade de Brest. Les déblais des carrières de kersantik. Penn ar Bed, 163, pp. 13-21.
CHAURIS L. 1997 – Pierres de Carantec. II. Sur terre et sur mer. Éd. Presbytère de Carantec, 98 p.
CHAURIS L. 1998 – L’aménagement portuaire du Conquet (Finistère) : cent ans de discussion sur des projets (1771-1873). Bull. Soc. archéol. du Finistère, CXXVII, pp. 399-415.
CHAURIS L. 2000 – Prélèvements de sable sur l’estran et rivage menacé. La Lieue de Grève dans la seconde partie du XIXe siècle. Mémoires de la Société d’Émulation des Côtes-d’Armor, CXXIX, pp. 215-222.
CHAURIS L. 2000 – Une ancienne carrière de gabbro à Primel-Trégastel. Courrier de Léon / Progrès de Cornouaille (4/11/2000).
CHAURIS L. 2002 – La pierre dans le port militaire de Brest. Bull. Soc. archéol. du Finistère, 1e partie, XXXI, pp. 237-275.
CHAURIS L. 2003 – La pierre dans le port militaire de Brest. Bull. Soc. archéol. du Finistère, 2e partie, CXXXII, pp. 253-274.
CHAURIS L. 2005 – À Brest, l’impact de la pierre dans la construction du port de commerce. Les cahiers de l’Iroise, 201, pp. 39-58.
CHAURIS L. 2006 – La pierre à Morgat. Avel Gornog 14, Crozon, pp. 34-40.
CHAURIS L. 2007 – La pierre dans les ouvrages portuaires de Camaret. Avel Gornog 15, Crozon, pp. 112-117.
CHAURIS L. 2010 – Le kersanton. Une pierre bretonne. P.U.R., 244 p.
CHAURIS L. 2010 – Nouvelles observations sur le microgranite de l’Île Longue. Avel Gornog 18, Crozon, pp. 22-29.
CHAURIS L. 2013 – À l’extrémité orientale de la baie de Goulven. Les ports de Kernic et de Porz Guen en Plouescat sous l’éclairage lithologique (2e partie). Bull. Environnement – Patrimoine Kerlouan, 99, pp. 17-22.
CHAURIS L. 2013 – Un contentieux sur des déblais de carrière à Cancale (Ille-et-Vilaine) en 1865-1866. Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, CXVII, pp. 191-196.
CHAURIS L. 2014 – La pierre dans les aménagements successifs des infrastructures maritimes à Perros-Guirec et ses approches. Mémoires de la Société d’Émulation des Côtes-d’Armor, CXLIII, pp. 443-461.
CHAURIS L. 2015 – Acheminement par voie ferrée de matériaux d’enrochement pour les digues de la baie du Mont-Saint-Michel : le cas de la carrière de Tremblay. Le Rouget de Dol, 107, pp. 52-53.
CHAURIS L. 2015 – La pierre dans les aménagements successifs au port d’Erquy (Côtes-d’Armor). Mémoires de la Société d’Émulation des Côtes-d’Armor, CXLIV, pp. 449-468.
CHAURIS-NORROY M.-M. 1973 – Les formations littorales de Saint-Pol-de-Léon. Penn ar Bed, 73, pp. 130-141.
GUILCHER A. (et coll.) 1957 – Les cordons littoraux de la rade de Brest. Bull. Com. Oc. Et. Côtes, vol. 9, pp. 21-54.
HALLEGOUËT B., BODÉRÉ J.-C. et MEUR C. 1994 – Bilan des expériences de protection souple des littoraux meubles dans le Massif armoricain. In « Cahiers nantais », 41-42, pp. 171-178.
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MENGIN 1878 – Port de Camaret. In « Ports maritimes de la France », t. IV, pp. 187-197.
MEYNIER A. 1953 – Observations préliminaires sur le Sillon de Talbert. Annales de Bretagne, 1, pp. 141-146.
YONI C., HALLEGOUËT B. et BODÉRÉ J.-C. 1994 – Ouvrages de protection et artificialisation de la ligne de rivage dans le pays pagan (Finistère). In « Cahiers nantais », 41-42, pp. 116-124.



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