Géographie de la Bretagne/L'exploitation de la mer

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Sommaire

L'exploitation de la mer (1994)

Auteur : Jean-Pierre Corlay


Bretagne : l’exploitation de la mer (2014)

Auteur : Alain Le Sann


La Bretagne au cœur des pêches françaises

Etonnante permanence, avant la Révolution, les pêcheurs bretons représentaient 40% de l’ensemble des pêcheurs de France. Aujourd’hui, la Bretagne représente encore 40% des débarquements en France. Cette tradition bretonne constitue un élément permanent de l’identité du territoire et les initiatives décisives dans l’évolution de la pêche française sont souvent nées sur nos côtes.


Une pêche vitale, encadrée et intégrée dans les échanges mondiaux

Dès le Moyen Age, la Bretagne est engagée dans le commerce du poisson séché (congre et merlu) et le sel breton joue un grand rôle dans le développement de la pêche au hareng en Manche et Mer du Nord, de la sardine pressée dans des ateliers ainsi que plus tard dans la pêche à la morue. Le premier débarquement de morues de Terre-Neuve a eu lieu au port de Dahouet dès 1509. Par la suite, morues et sardines ont alimenté des courants d’échange importants en s’insérant en particulier dans le commerce triangulaire. La pêche bretonne, tout en faisant vivre sur la côte d’innombrables pêcheurs à pied, a donc participé depuis longtemps aux échanges internationaux. De ce fait, les problèmes de concurrence ont été récurrents. La morue bretonne est ainsi concurrencée par les productions américaines et anglaises sur les marchés espagnols.

Source de nourriture, pour une société où l’Église imposait de nombreux jours de jeûne, et source de revenus, la pêche côtière a toujours été soumise à un fort encadrement par les seigneurs et les abbayes qui s’appropriaient le contrôle de l’estran. Plus tard, l’État s’imposa lorsqu’il se renforça sous Louis XIV et Colbert. Soumis à l’Inscription Maritime, les pêcheurs devaient fournir des matelots pour la flotte royale ; ils étaient aussi soumis à des taxations, des interdictions d’engins, de périodes de pêche, de commerce. La pêche lointaine a d’ailleurs permis d’échapper partiellement à ces contrôles tatillons.

La question des ressources s’est enfin posée très tôt dans l’histoire. Dragues et chaluts ont toujours été accusés de détruire les fonds et les juvéniles. Dès le XIXème siècle, les bancs d’huîtres sont surexploités et même souvent détruits. Les ressources sont également sujettes à des irrégularités qui génèrent une misère accrue, ce fut le cas pour la sardine et la morue.


Les mutations de 1830 à 1945

Le XIXème siècle est marqué par des mutations majeures liées à trois innovations qui vont entraîner un essor considérable des pêches bretonnes, en particulier sur la côte Sud, parce que la côte Nord- de Paimpol à Cancale- reste marquée par la grande pêche à la morue. La première innovation, l’appertisation, va permettre le développement spectaculaire des conserveries à l’initiative de Nantais. La Bretagne va devenir le premier centre mondial de la conserve de sardines et alimenter des circuits d’échanges internationaux. Du Finistère Nord à la Loire, des dizaines de conserveries vont remplacer les ateliers de presse et faire vivre -souvent mal- des milliers de pêcheurs et d’ouvrières. Le sommet sera atteint à Douarnenez qui pourra compter à la fin du siècle, près de 1 000 chaloupes sardinières. Le chemin de fer va permettre de développer l’accès au marché des grandes villes pour le poisson frais. Le chalut, à voile puis à vapeur, à partir de 1900, permet d’alimenter ces marchés toute l’année. Il permet aussi avec la pêche thonière de dégager de nouvelles orientations de développement pour répondre aux premiers signes de la crise qui touche le secteur sardinier à partir des années 1880. Les Bretons sont en effet les pionniers de la pêche au thon avec les Groisillons et ils ont aussi joué un rôle important dans le développement de l’ostréiculture.

Après le choc de la première guerre mondiale, les années 20 constituent une période florissante, marquée par la création du port industriel de Lorient et l’introduction des moteurs Diesel. Très vite cependant, les années 1930 sont marquées par une grave crise aux aspects multiples : coût de l’énergie (charbon), concurrence, crise sociale, endettement, effondrement des marchés. C’est au cœur de cette crise que vont naître deux grands courants qui marquent l’histoire des pêches bretonnes et françaises. C’est en 1924-25 que Charles Tillon, en venant soutenir les ouvrières des conserveries de Douarnenez en grève, favorise l’émergence d’un syndicalisme de lutte de classe qui connaît brièvement un certain succès et permet de consolider des municipalités communistes comme celle de Douarnenez, la première en France. Dans les années 30, le Père dominicain Lebret, en s’appuyant sur ses enquêtes dans les ports et sur les bateaux de grande pêche, s’inspire du catholicisme social pour créer des organisations professionnelles et poser les bases des comités locaux et d’un comité national regroupant tout le monde de la pêche. Mis en place sous Vichy en 1941, le système est largement repris par le gouvernement issu de la Résistance, en 1945. Ce système a perduré sans grand changement jusqu’en 2011, mais désormais l’avenir de la pêche se décide bien loin de la Bretagne.


Pêches bretonnes : des adaptations permanentes

Les pêches n’ont pu se maintenir qu’en s’adaptant en permanence à l’évolution des ressources, des marchés, des techniques et des réalités sociales.

Sur la côte Nord, le plus bel exemple d’adaptation et d’innovation est donné par l’histoire de la pêche à la coquille Saint Jacques, en baie de Saint Brieuc. Dans les années 60, les pêcheurs de la baie découvrent des coquilles dans leurs chaluts. Auparavant, le gisement de praires a été détruit par la surexploitation. Il semble que l’hiver très froid de 1962 ait été fatal aux prédateurs de la coquille et que celle-ci ait trouvé des conditions idéales pour se développer. Il est fréquent, lorsqu’une ressource disparaît, de voir la niche qu’elle occupait investie par une nouvelle. Ainsi, la destruction des bancs naturels d’huîtres a permis aux moules de se développer. La découverte de la coquille St Jacques a déclenché une ruée des bateaux, du Finistère à la Normandie. En effet, au même moment, le gisement de la rade de Brest a été mis à mal. En quelques années, l’Eldorado de la coquille est menacé, mais l’expérience du gisement de praires a servi de leçon et quelques pêcheurs réussissent à mobiliser leurs collègues de la Baie pour mettre en place des mesures de gestion. Celles-ci deviennent de plus en plus strictes pour préserver les gisements et les marchés. Les scientifiques, qui avaient tenté auparavant de fixer le naissain de coquilles et avaient échoué, acceptent d’accompagner et de soutenir les démarches des pêcheurs. Cette gestion rigoureuse est aujourd’hui un modèle de réussite malgré ses imperfections et les mesures évoluent en permanence.

Cette histoire exemplaire indique une bonne voie pour maîtriser la gestion des ressources. L’essentiel est d’engager une démarche collective sur un territoire de pêche contrôlé par les pêcheurs avec un accompagnement scientifique. Dans le cas présent, il s’agit d’une ressource peu mobile et bien identifiée, mais les pêcheurs exercent tous sur des territoires de pêche qu’ils connaissent et s’approprient de fait par ces connaissances. Ils constatent au jour le jour l’évolution des ressources et s’adaptent en permanence. Ces savoirs peuvent servir de base à la mise en place de démarches collectives. Une fois engagées et acceptées par les pêcheurs, contrôlées sous leur responsabilité, ces mesures peuvent être ajustées en permanence à la condition que l’accès aux ressources soit contrôlé et limité. Ce sont les principes de la gestion des communs analysés par Elinor Ostrom, prix Nobel d’Economie. On retrouve des modes de gestion semblables en Baie de Granville et, même au niveau international, entre pêcheurs bretons, normands et britanniques des îles Anglo-normandes.

Sur la Côte Sud, les évolutions aux 19ème et 20ème siècles montrent également des adaptations innovantes après les crises récurrentes de l’activité sardinière. Il y eut bien sûr des échecs puisque des ports ont pratiquement disparu à la suite de choix qui se sont révélés inadaptés. Chaque port sardinier a suivi un chemin différent en fonction des forces sociales en présence, des conditions géographiques, des traditions locales. Ainsi l’île de Groix, tenue à l’écart du boom de la sardine s’est-elle lancée dans la pêche au thon à partir de 1860, en s’appuyant sur son expérience du commerce dans le Golfe de Gascogne, l’essentiel de la pêche étant débarqué pour alimenter les conserveries de Concarneau. L’exercice du chalut pendant l’hiver a préparé les pêcheurs à devenir par la suite officiers et matelots sur les chalutiers industriels lorientais. Le petit port du Bono, près d’Auray, s’est aussi trouvé écarté, par sa situation en fond de ria, de la pêche sardinière.

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Sur leurs forbans, les pêcheurs du Bono sont devenus avant 1914, les spécialistes du chalut et de la pêche fraîche, débarquée au Croisic. Après la guerre, ayant raté le tournant de la motorisation, ils ont embarqué à la pêche industrielle, souvent à Concarneau, parce qu’ils avaient des liens avec les constructeurs concarnois. Pour leur part, les pêcheurs de Concarneau ont tardé à faire le choix de la pêche thonière, mais ils en sont devenus les maîtres en s’appuyant sur les innovations du moteur et du froid. Leur spécialisation et leurs liens avec des industriels les ont poussés vers l’Afrique et l’Océan Indien sur des navires de plus en plus gros et sophistiqués.

Des ports comme Camaret ont choisi la pêche à la langouste, avec le soutien de commerçants brestois qui disposaient des moyens et des réseaux commerciaux. La fin de la pêche sardinière à Douarnenez a débouché sur le développement de la pêche lointaine à la langouste et de la pêche industrielle chalutière. Ces choix ont abouti à des impasses avec l’épuisement des fonds. Les ports du pays Bigouden ont pris d’autres options, sardines à la bolinche et pêche chalutière à la langoustine et aux poissons de fonds. Plus au Sud, en Loire-Atlantique, le port de La Turballe choisit de développer la pêche au chalut pélagique pour la sardine et l’anchois, contre la volonté des autres pêcheurs du Morbihan, mais avec l’appui d’un baron du gaullisme, Olivier Guichard. Enfin, on connaît l’admirable combat qui permit de sauver les marais salants de Guérande. Ces évolutions, associées à la diversité des zones côtières et des fonds du plateau continental, permettent d’expliquer l’extrême complexité des pêches bretonnes actuelles.


Bretagne Sud : l’échec du modèle industriel

La Bretagne Sud a longtemps abrité les fleurons de la flotte de pêche française avec des ports emblématiques comme Douarnenez, Le Guilvinec, Concarneau, Lorient, La Turballe. L’essor s’est poursuivi jusque dans les années 1980 sur la base d’une pêche hauturière exploitant des zones de plus en plus éloignées de Bretagne, jusqu’au nord de l’Ecosse, sans parler des pêches lointaines à la langouste ou au thon, au large de l’Afrique. Cette pêche hauturière s’appuyait sur deux flottes chalutières, industrielle à Lorient, Concarneau et Douarnenez, artisanale dans le pays bigouden, Lorient et La Turballe. A la crise de la ressource se sont ajoutées les mutations des systèmes de distribution et des marchés et les évolutions erratiques des prix de l’énergie.

Depuis le début des années 1990, les crises dominent les périodes plus sereines et elles ont abouti à une diminution considérable des deux flottilles et du nombre de marins. Les armements industriels se sont pour la plupart effondrés et les débris de cette flotte ont été repris par une société qui dispose de capacités financières, la Scapêche, filiale d’Intermarché. L’armement Dhelemmes de Concarneau est pour sa part sous le contrôle d’un armement hollandais. La Scapêche, basée à Lorient, contrôle aujourd’hui les derniers grands bateaux industriels et a réussi à stabiliser la situation avec de nouveaux investissements. Son avenir est cependant incertain face à l’offensive des ONG environnementalistes contre la pêche de grands fonds qui préfigure une attaque généralisée contre le chalutage de fond.

Les débarquements à Lorient sont passés de 75 000 T dans les années 80 à 15 000 T en fin de décennie 2000. Le port a remplacé les débarquements locaux par des importations qui viennent du monde entier et alimentent une industrie de transformation florissante qui fournit la restauration collective et les rayons des hypermarchés. Douarnenez a sombré en 20 ans de 15 000 T à 1 400 T, Concarneau résiste en passant de 30 000 T à moins de 20 000 T, mais, à son apogée, le port recevait 50 000 T dans les années 60.

Le secteur artisan hauturier disparaît de plusieurs ports comme Lorient, où seul subsiste une pêche côtière diversifiée aux côtés de la Scapêche. Il résiste mieux dans le pays bigouden, particulièrement au Guilvinec, mais Loctudy est très affaibli et ne compte plus que 10 hauturiers. Au Guilvinec, le secteur a subi également une grande saignée tandis que résistent quelques armements industriels exploitant des chalutiers hauturiers de 20-24 m. Les plans successifs de sortie de flotte ont permis de sortir les bateaux les plus anciens et les plus endettés. Les navires restants ont retrouvé de la rentabilité, mais ils doivent aujourd’hui faire face à plusieurs défis majeurs qui conditionnent la survie de cette pêche hauturière. Il faut trouver les moyens de renouveler à la fois les bateaux et les hommes, patrons et matelots. La moyenne d’âge des bateaux, hauturiers comme côtiers, est de 25 ans. Il est difficile de financer de nouveaux bateaux du fait des contraintes européennes et L’Union Européenne ne fera rien pour aider au renouvellement des hommes car son objectif est de réduire encore la flotte de pêche et le nombre de pêcheurs et elle attend patiemment que le secteur se réduise naturellement, au besoin en accélérant son déclin par une marchandisation des droits de pêche. Faute de renversement de cette volonté politique, l’avenir est particulièrement menacé car c’est toute une culture et des savoirs qui vont disparaître avant la ressource. La focalisation sur cette seule préoccupation est préoccupante pour l’avenir du secteur, car il est plus facile de reconstituer les ressources que de reconstruire une communauté humaine disposant de l’envie, des savoirs, des hommes, de l’environnement et des capitaux nécessaires pour garantir la pérennité de l’activité. Il est vrai que les choix des élus tendent à privilégier le tourisme, l’environnement, les extractions de sable ou l’énergie éolienne.

En Loire-Atlantique, le port de La Turballe a fait le choix de privilégier le chalutage pélagique orienté en particulier vers la pêche à l’anchois, très rémunératrice. Cependant, ces ressources sont fragiles et fluctuantes, indépendamment des risques de surpêche. La pêche à l’anchois a été fermée pendant plusieurs années après 2005, condamnant plusieurs armements. Cette fermeture a accentué la pression sur d’autres ressources avec des bateaux puissants. En 2010, le port a réussi à débarquer près de 7 000 T et le retour de l’anchois permet d’envisager un redressement. Le secteur de la petite pêche côtière subit pour sa part l’effondrement des ressources de civelles qui assuraient une bonne partie du chiffre d’affaires de nombreux petits bateaux qui ne peuvent guère se tourner vers d’autres ressources.

Artisans ou industriels, côtiers ou hauturiers, tous les ports de Bretagne Sud doivent aussi répondre au défi énergétique, particulièrement important pour les chalutiers. Pour les fileyeurs, le coût du renouvellement des filets est aussi fortement lié à celui du pétrole. Il n’y a guère de perspective de baisse des prix, ni de baisse importante des consommations. Les seules solutions se trouvent dans l’amélioration des ressources, une meilleure valorisation sur les marchés. Cette dernière solution n’est guère facile pour des productions de masse, les circuits courts sont plus adaptés aux pêches côtières et connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt. Le choix de nouveaux engins de pêche peut représenter une solution, mais ne va pas sans problèmes. La senne danoise est pour l’instant rejetée par les pêcheurs bretons dans leur majorité car elle pose des problèmes de partage des zones de pêche. C’est le cas également d’un passage à la pêche des langoustines au casier qui ne peut être rentable que dans certaines zones proches des ports suivant les récentes études.

Tous ces défis sont bien plus difficiles à relever que celui des ressources… sur lequel se focalise cependant la Commission Européenne, les scientifiques et les ONG environnementalistes.

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La pêche bretonne face aux défis européens

La pêche bretonne est confrontée aux défis de la Réforme de la Politique Commune des Pêches (PCP) telle qu’elle se profile pour 2013, mais au-delà elle doit faire face à des changements profonds liés à des débats engagés au niveau international, dans des instances comme la FAO, l’OMC ou la Convention sur la Biodiversité.

La pêche bretonne se caractérise par la diversité de ses entreprises artisanales qui recouvre la petite pêche, la pêche côtière et une partie de la pêche hauturière. Traditionnellement, la pêche côtière et la pêche hauturière, qui assurent une bonne partie des débarquements dans les principaux ports, dominaient les instances de représentation. La petite pêche trouvait pourtant sa place malgré quelques difficultés et faisait preuve de dynamisme (association des ligneurs).

- La Commission Européenne a pourtant changé la donne en adoptant une définition de la pêche artisanale très restrictive, limitée en fait à la petite pêche : bateaux de moins de 12 m à l’exclusion des arts traînants, dragues et chaluts. La totalité des langoustiniers qui assurent la vitalité des ports de Bretagne Sud sont donc exclus. Ils se retrouvent ainsi classés dans la pêche industrielle. Cette définition a reçu l’appui des ONG environnementalistes (ONGE), très écoutées par la Commissaire en charge de la pêche, Maria Damanaki.

L’enjeu est d’importance car les deux secteurs seront soumis à des politiques différenciées. Les représentants de la petite pêche sont conduits à s’organiser de manière indépendante avec l’appui de la Commission et des ONGE. Cette exclusion d’une bonne partie du secteur artisan va entraîner l’application de mesures réservées au secteur industriel. La réforme amènera logiquement à terme à la mise en œuvre des Quotas Transférables, car il est peu concevable que deux systèmes différents (quotas gratuits et quotas payants) coexistent sur les mêmes pêcheries. Les subventions seront réservées à la petite pêche. A terme on sait ce que cela signifie : élimination de 50% au moins des navires de plus de 12 m et concentration de la pêche sur une bande côtière saturée.

L’autre menace pour la pêche chalutière, côtière ou hauturière, vient de l’interdiction des rejets. Les ONGE et la Commission ont mené une campagne très efficace pour stigmatiser cette pratique. Elle est pourtant due en partie à la politique des quotas appliquée à des pêcheries multi-spécifiques. Là encore, la mise en œuvre des QIT sera la conséquence logique de cette interdiction : ce sera la seule manière de valoriser les captures hors quotas. Quant aux langoustiniers, ils ont fait de gros efforts pour limiter leurs rejets, mais cela ne suffit pas à satisfaire la Commission et les ONGE. Si une reconversion est possible, elle sera très difficile et limitée. Comme ces bateaux ont généralement plus de 20 ou 25 ans, les choix à faire sont urgents et difficiles si l’on veut éviter une disparition de l’activité à moyen terme.

A ces défis liés à la réforme de la PCP s’en ajoutent d’autres qui vont avoir un impact considérable sur les pêches bretonnes : les subventions et la défense de la biodiversité.

Sur les subventions, la bataille fait rage depuis plusieurs années dans les forums internationaux : pour beaucoup d’ONGE et de scientifiques, les pêcheurs reçoivent des subventions pour voler un poisson qui ne leur appartient pas. Ils doivent donc payer l’accès à la ressource (QIT) et renoncer aux subventions. Celles-ci concernent la détaxation du carburant, les aides aux investissements pour les navires ou les infrastructures portuaires, la recherche et le contrôle. Pour les libéraux et beaucoup d’écologistes, les pêcheurs doivent payer tout cela et dégager la rente maximale pour le faire, en étant peu nombreux à se partager cette rente. Soumis à de telles pressions, bon nombre de hauturiers, chalutiers ou autres ne pourront plus travailler et la pression sur la bande côtière se fera encore plus forte.

Cette pression sera d’autant plus forte qu’il est prévu d’interdire la pêche sur 10 à 20% des espaces marins, en haute mer comme sur la bande côtière. Il est possible que ces réserves soient utiles pour protéger les ressources mais elles ne les augmenteront guère, si la pression est reportée sur les zones non protégées. Les réserves intégrales vont compliquer l’accès aux zones autorisées à la pêche côtière, comme le montre l’exemple du Parc des Calanques près de Marseille.

Pour la pêche industrielle, le grand défi concerne les grands fonds. Cette activité touche les ports du Guilvinec et de Lorient. La Commission voudrait interdire cette pêche au chalut à moins de 400 m, en 2014. Pour certaines ONGE, ce serait moins de 200 m. Ces pêcheries concernent peu de bateaux et des tonnages réduits sur des espèces qui ne sont plus menacées. L’interdiction affaiblirait cependant les armements et les ports. La pêche serait redéployée sur d’autres zones du plateau continental où la pression est déjà forte. Il n’est pas certain que tous les armements y survivraient.

L’impact de la réforme de la PCP et des mesures liées aux engagements internationaux risque d’être considérable pour l’ensemble des pêcheurs bretons, industriels et artisans, hauturiers et côtiers. Les structures portuaires en seront aussi bouleversées.

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La conchyliculture : un atout fragile

La conchyliculture en Bretagne représente une activité importante pour les zones littorales, comparable avec la pêche. Elle emploie près de 5 000 personnes dont une bonne partie de saisonniers car les activités sont très variables au cours de l’année, en particulier dans l’ostréiculture. En 2008, environ 900 entreprises se répartissaient équitablement entre le Nord et le Sud de la Bretagne. Celle-ci représente plus de 40% de la production conchylicole française avec 83 000 tonnes en 2009. Cette production est fortement intégrée dans un système complexe d’échanges de la Normandie à la Charente, les huîtres subissent des transferts au cours du cycle de production. De ce fait la Bretagne ne maîtrise pas complètement la production et la commercialisation de ses huîtres.

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La côte Nord se caractérise par un équilibre entre la production d’huîtres et celle de moules de bouchots. La baie de Cancale conserve une production d’huîtres plates qui assure sa renommée. En Bretagne Sud, l’ostréiculture domine, la faiblesse de la production de moules est compensée par une forte production de coques et quelques centaines de tonnes de palourdes. Il faut d’ailleurs noter que la pêche à pied de coquillages assure aussi un complément à l’élevage et que leurs circuits de distribution sont souvent communs.

La conchyliculture est fortement dépendante de l’état du milieu. Celui-ci a souvent tendance à se dégrader, ce qui affecte durement la commercialisation. Les conchyliculteurs sont aussi confrontés à une forte concurrence pour l’espace, en mer comme à terre. Les concessions représentent près de 10 000 ha auxquels il faut ajouter 500 km de bouchots. Les tentatives pour créer de nouvelles concessions en eaux profondes, sur des filières par exemple, se heurtent à de fortes oppositions des résidents qui refusent les limitations à la circulation de leurs bateaux et à la pêche, ainsi que les atteintes aux paysages. A terre, les conchyliculteurs ont besoin de disposer d’installations proches du rivage, ce qui leur est souvent reproché par certains riverains ou estivants.

Aujourd’hui, l’activité la plus menacée est l’ostréiculture du fait de la persistance de fortes mortalités de jeunes huîtres. De nombreux exploitants ont dû renoncer à leur activité, particulièrement dans le Morbihan. Les petites exploitations ostréicoles sont les plus touchées, bien disséminées sur le littoral, elles jouent un rôle essentiel de sentinelle pour la qualité de l’eau.

La Bretagne dispose d’atouts pour défendre son image avec quelques huîtres de terroir de renommée nationale (Belon, Cancale). Des efforts importants sont engagés pour renforcer l’image de qualité avec les moules de bouchots qui bénéficient d’une AOP en Baie du Mont Saint Michel. Des structures permettent d’associer agriculteurs et ostréiculteurs dans des démarches de protection de la qualité de l’eau (CAP 2000 en ria d’Etel). Il reste cependant beaucoup à faire pour lutter contre les algues vertes, les pollutions issues des milieux urbains ou portuaires, les boues de dragage, les transformations des estuaires, etc.

Depuis 2008, l’activité conchylicole européenne est menacée par une forte mortalité des huîtres. Certains mettent en cause la densité des élevages, qui réduit la quantité de nourriture disponible, et le développement des écloseries qui affaiblit la base génétique.

La conchyliculture bretonne est un atout majeur dans la panoplie diversifiée des productions primaires. Totalement dépendante du milieu naturel, elle constitue une sentinelle indispensable pour protéger les eaux littorales et les côtes. Elle fournit des produits d’une qualité incomparable, très valorisants pour la Région dans son ensemble, mais elle est fortement affectée par les pollutions et les dégradations de la qualité du plancton. Une nouvelle activité de production d’algues sur des concessions importantes, en Bretagne Nord comme sur la côte Sud, permet à certaines entreprises ostréicoles importantes de diversifier leur activité.

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Les ventes en criées en 2015

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Le tableau des ventes en criées fait apparaître l’importance majeure de la Bretagne dans les pêches françaises, puisque l’intégration de la Loire-Atlantique lui assure 50% des ventes dans les criées françaises. Il faut cependant nuancer ces chiffres, car les ventes en criées ne représentent que les deux tiers des ventes totales en France. Les ventes directes concernent en particulier de nombreux petits ports, par exemple en Méditerranée.

Le second aspect remarquable concerne le poids considérable de la Bretagne Sud, en particulier l’ensemble Lorient- Pays Bigouden où l’armement de la Scapêche joue un rôle important. Certains ports comme Lorient, Loctudy, Le Guilvinec connaissent une forte progression de leurs ventes grâce à une hausse des prix et même une augmentation des débarquements. Enfin, on ne peut que constater l’affaiblissement continu de ports qui furent importants jusque dans un passé récent, Concarneau et Douarnenez. Cependant, Concarneau ou Saint-Malo restent des centres halieutiques importants grâce à leurs activités de pêche lointaine.

L'année 2015 a été particulièrement favorable aux pêcheurs bretons du fait des cours élevés des ventes, conjugués à la forte baisse du carburant. Si la demande devait se maintenir à ce niveau, on pourrait s'attendre à une reprise des investissements dans de nouveaux navires, d'où un rajeunissement de la flotte qui en a bien besoin. D'autre part, on pourrait espérer un regain d'intérêt des jeunes pour les métiers de la pêche. On relève des signes allant dans ce sens, en particulier à Lorient.



TIROIR : Exploitation de la mer


Documents consultables dans ce tiroir :


« ONG protectionnistes et business vert »

Une analyse d’Alain Le Sann

D’emblée, l’auteur de cet ouvrage, la journaliste et écologiste américaine Christine MacDonald (1), plante le décor des réalités qu’elle a découvertes et côtoyées en exerçant des responsabilités dans la communication, au sein de l’ONGE Conservation International (C.I).

« Des ONG, qui se consacraient seulement au sauvetage des pandas et des réserves, rivalisent pour attirer les faveurs des compagnies minières, forestières et immobilières. Parmi les plus généreux donateurs figurent les plus grands hors-la-loi de l’environnement de toutes les multinationales de l’énergie. Etre un grand dirigeant d’une organisation conservationiste signifie aujourd’hui, en plus d’un salaire à six chiffres, faire de la plongée avec des rock stars, faire la fête avec des héritiers des multinationales et des journalistes célèbres à bord de jets privés et de yachts gourmands en énergie.»

Après son licenciement en 2007, Christine MacDonald décide d’analyser le fonctionnement des grosses ONGE américaines, qui interviennent dans le monde entier, et de décrire les liens étroits qu’elles entretiennent avec les grandes sociétés multinationales, souvent responsables directes ou indirectes des plus graves atteintes à l’environnement. Son livre est paru en 2008 et a, momentanément, attiré l’attention sur les dérives de ces BINGOs (Big International NGOs). Les noms de ces ONGE ne disent pas grand-chose aux Européens, à l’exception de WWF ou de Greenpeace. Le cas de Greenpeace est peu évoqué dans son livre car cette ONGE a plutôt construit son succès sur la critique des grandes sociétés, même si elle ne dédaigne pas de chercher des financements auprès des grandes fondations libérales américaines, contrôlées par des barons d’industries. Toutes les grandes ONGE citées sont américaines, mais beaucoup interviennent dans le monde entier : The Nature Conservancy (T.N.C), Conservation International (C.I), Conservation Foundation, WWF-US, Natural Resources Defense Council, National Audubon Society, Environmental Defense Fund (E.D.F), Sierra Club, Wildlife Conservation Society, etc.


ONGE, des entreprises florissantes.

Pour Christine MacDonald, ces ONGE s’apparentent nettement aux multinationales dont elles sont les alliées. Elles font partie du même monde, celui du Big Business. Elles disposent de capitaux et de budgets considérables. En 2004, le capital cumulé de ces ONGE (12000 aux Etats-Unis) représentait 27 milliards US$ et elles disposaient de 9,6 milliards $ de revenus. TNC a un budget de 1 milliard $. En apparence leurs revenus issus des multinationales sont limités : 10%, mais ceci ne doit pas faire illusion car elles reçoivent également des fonds considérables de fondations étroitement liées aux grandes sociétés, sans parler de dons individuels de milliardaires. Ainsi Conservation International, dirigée par Peter Seligmann, lui-même issu d’une grande famille de banquiers, a obtenu en 2002 un engagement de la Fondation Moore, de 261 millions $, de 2002 à 2012, le plus important versement jamais réalisé à l’époque à une ONGE.

A partir des années 1980-90, la libéralisation reaganienne a permis un enrichissement considérable de nombreux banquiers et hommes d’affaires, bénéficiaires de la baisse des impôts. Les riches donateurs ont accru leurs dons parallèlement au déclin du rôle de l’État, certains ont créé des fondations et se sont directement impliqués dans les orientations des ONG à travers le contrôle de leurs dons.

Les ONGE ont constitué un secteur économique puissant. TNC est l’un des plus grands propriétaires terriens de la planète avec 50 millions d’ha en 2007, elle consacre plus de 800 millions$ à des programmes internationaux. Pour certains états pauvres du Sud (Madagascar), les dons de ces ONGE représentent une part importante de leur budget et dans de nombreux secteurs, ce charity business privé remplace l’aide publique ou privée au développement. Le développement est désormais perçu au travers du prisme environnemental qui conditionne le reste.

Les dirigeants de ces organisations sont souvent issus du monde des affaires, fréquemment des dirigeants de sociétés multinationales donatrices font partie de leur bureau. Les salaires des responsables sont comparables à ceux de PDG et ils en ont le mode de vie. Certains gagnent plus de 800 000$ et ils bénéficient d’avantages pour leur logement. Pour C.MacDonald, ils vivent comme « des drogués du carbone » tout en parlant du réchauffement climatique et du développement durable. Ces liens étroits avec le monde des affaires se justifient, selon les dirigeants des ONGE, par leur volonté d’influer sur leurs politiques et leurs pratiques. La journaliste considère au contraire que c’est totalement faux et illusoire.

Bien sûr, plusieurs sociétés comme Wal Mart, en 2004 ou BP, en 1997, ont annoncé avec force et conviction leur volonté de réorienter leurs pratiques et de respecter les principes de la durabilité. Pour l’essentiel, il s’agit surtout de greenwashing et d’une «Walmartisation de la conservation » ; ce sont les ONGE qui se sont compromises pour quelques millions de dollars et servent de caution verte à des multinationales en demande d’une belle image sans qu’elles changent réellement leurs pratiques. C. MacDonald compare cela aux indulgences que les pécheurs pouvaient acheter au pape tout en continuant allègrement leur mauvaise conduite. Cela a permis aux papes de la Renaissance de bâtir Saint Pierre de Rome, mais n’a pas vraiment changé la face du monde, pas plus qu’une belle réserve intégrale ne permet aujourd’hui de remettre en cause fondamentalement l’érosion de la biodiversité. L’auteur considère que ces rapprochements ont entraîné l’échec du mouvement conservationniste. Les ONGE deviennent de « gros chats » tandis que les lynx sauvages continuent de disparaître malgré la création de réserves sur 10% des continents.


Dictateurs de la conservation et Big Business

« Pourquoi les industries les plus polluantes de la planète sont-elles parmi les plus gros financeurs des organisations de conservation ? »

Christine MacDonald consacre plusieurs chapitres documentés aux relations troubles entre ONGE et Big Business, dans les mines, l’énergie, la forêt, l’immobilier, les banques, la grande distribution (Wal Mart et IKEA). Elle multiplie les exemples qui témoignent des effets pervers de ces relations et de leur caractère structurel. Elle analyse ainsi la stratégie de BP avec sa campagne « BP= Beyond Petroleum » pour se présenter comme un modèle d’entreprise verte bâtissant son avenir sur les énergies renouvelables. En réalité, ce domaine ne représentait qu’une part dérisoire de ses investissements, soit 4%, mais la campagne réussit à masquer les responsabilités de BP dans des catastrophes environnementales et des pollutions tandis qu’elle renforçait ses gisements off-shore. Cette campagne de Greenwashing lui a moins coûté qu’un investissement sérieux dans un entretien régulier de ses installations.

Ces associations avec des ONGE comme TNC « avec des programmes de conservation, sont liés à des projets de forages qui requiert une approbation publique ». « Les dirigeants des ONGE travaillent avec les sociétés pétrolières sur des projets de conservation limités, tandis qu’ils ferment les yeux sur les zones où les compagnies ravagent l’environnement ». Ainsi, Shell s’est lancée dans les schistes bitumineux, mais a été récompensée par TNC pour ses pratiques respectueuses de l’environnement, après avoir reçu des contributions substantielles de Shell…

Les héritiers de Wal Mart bénéficient d’une richesse de 65 milliards $, ils consacrent un milliard à leur fondation Walton Family. Ils orientent les dons de leur fondation vers des actions valorisant leur entreprise et communiquent à bon compte sur leurs engagements verts car ceux-ci ne remettent pas en cause les fondements du système qui a permis leur enrichissement : bas coûts, importations massives, bas salaires, etc). Les effets de cette collusion entre ONGE et grandes sociétés multinationales vont bien au-delà du greenwashing, cela permet de couvrir l’expulsion des paysans et indigènes car « les pauvres portent le poids de la conservation ». Au Brésil, C.I a soutenu la société Bunge contre une ONG locale qui se bat contre la déforestation et l’expansion du soja. C.I s’estime satisfaite lorsque des réserves ou zones protégées sont créées même si elles ne sont que l’alibi pour faire accepter la destruction de la majorité du territoire.

Les ONGE s’associent également à des gouvernements totalement corrompus comme ceux du Gabon ou de Guinée Equatoriale quand ils déclarent autoritairement la mise en réserves intégrales d’une partie de leur territoire, même si cela se traduit par l’expulsion des habitants. Un tiers du pays est mis en réserve en Guinée Equatoriale avec l’appui de C.I alors que le gouvernement est une des pires dictatures de la planète.

Plus récemment, les ONGE se sont lancées avec enthousiasme dans la valorisation des services écosystémiques, c’est-à-dire la vente de crédits carbone à des entreprises en échange de programme de protection et de conservation de forêts ou d’autres écosystèmes (3). Cette pratique sert en fait à faire avaliser des programmes dangereux pour l’environnement en échange de la protection de quelques espaces ailleurs. Ainsi un projet de mine de Nickel à Madagascar passe plus facilement malgré ses conséquences désastreuses pour l’environnement, si les dégâts sont compensés par la reforestation d’autres zones par les ONGE. Si des résidents doivent être déplacés pour cela, on peut toujours leur promettre la recette miracle de l’écotourisme. Les activités alternatives imposées sont souvent peu crédibles et insuffisantes quand elles n’entraînent pas une autre pollution. En Ouganda, la création d’une réserve a fait perdre aux habitants 470 000 $, les recettes du parc leur ont rapporté 230 000 $ ; leurs pertes totales se sont élevées à 700 000 $. Une bonne partie des 20 millions de réfugiés de l’environnement sont aussi le résultat de ces expulsions soutenues directement ou indirectement par les ONG de conservation. (4)

Christine MacDonald est une écologiste convaincue et elle reconnaît avoir rencontré dans ces ONGE des scientifiques et des professionnels honnêtes et sincères. Elle met en cause la politique et le comportement des dirigeants et leur collusion avec des entreprises polluantes qui s’achètent une assurance de réputation auprès des ONG conservationistes. Elle soutient le travail et la mobilisation des multiples ONG de terrain qui défendent, souvent bénévolement, les paysages, la biodiversité et les écosystèmes. Elle nuance ses jugements sur les pratiques des ONGE dont certaines essaient de choisir leurs partenaires parmi des sociétés moins polluantes.


Walmartisation des ONGE en Europe ?

Sommes-nous protégés en Europe contre les pratiques de ces ONG conservationistes ? Pas vraiment, car ces associations très puissantes mènent le jeu au niveau international. Elles ont ainsi des liens très étroits avec l’UICN et jouent un rôle très important dans les orientations de la politique sur la biodiversité, les aires marines protégées, les réserves continentales, etc. Les mesures définies dans les instances internationales ont directement leurs effets en Europe.

Par ailleurs, plusieurs de ces ONGE, en particulier dans le domaine des océans, s’implantent en Europe. Elles ont pesé sur la réforme de la PCP et continueront à peser sur son application. EDF crée des antennes en Grande-Bretagne. Pew, à l’origine une fondation liée à des héritiers de fortunes pétrolières, a aussi créé son ONG qui intervient directement en Europe soit en son nom propre, soit par le soutien à des ONG créées et financées par des fondations anglosaxonnes. Oceana est ainsi une des plus puissantes ONG conservationistes pour les océans, créée de toutes pièces par ces fondations. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’associations représentant la société civile, mais d’organisations relais des idéologies et des intérêts des fondations issues des grandes entreprises capitalistes. Greenpeace pour sa part veille à l’origine des ses fonds, mais elle mène certaines campagnes en fonction de contrats passés avec des fondations, sur des calendriers, des objectifs définis en commun. Ces fondations très libérales font partie du système du big business. La campagne est donc menée en fonction de la réalité d’un problème, mais aussi en fonction des financements qui dépendent des choix de ces fondations. Ces ONGE ne fonctionnent pas sur la base de la mobilisation militante et bénévole et la création d’un mouvement sociétal (5). Elles n’ont guère de fonctionnement démocratique et fondent leur action sur une communication professionnalisée largement basée sur le spectaculaire et la mobilisation des stars (cf la campagne Fishlove avec Mélanie Laurent, nue avec un crabe…). Les campagnes d’Océan 2012 sur la réforme de la PCP ont été basées sur ces modalités. Il fallait manipuler l’opinion publique pour faire pression sur les élus soumis à une pression médiatique constante. Tous les journaux reprennent au même moment, lors des réunions stratégiques, les mêmes rapports, les mêmes données, les sondages à la limite du ridicule (êtes-vous contre la surpêche ?), les mêmes arguments préparés par des sociétés de communication, payées par les fondations : du grand art de la communication, mais qui n’a rien à voir avec une démocratie participative.

Christine MacDonald, en analysant le mouvement conservationiste américain, nous donne de précieux outils pour comprendre l’évolution et les dérives de certaines ONGE européennes. Il reste à défendre les vraies ONG environnementalistes fondées sur la mobilisation des bénévoles et les informations rigoureuses pour démasquer les ambiguïtés des Conservationistes bien en cours dans les médias et à Bruxelles.

Alain Le Sann - Crisla. Lorient - juin 2013


Sources :

  • Christine MacDonald, GREEN, INC, The Lyons Press, Connecticut, 2008, 250p.
  • Christine MacDonald, op. cit, Chapitre 10.
  • www.business-biodiversity.eu
  • Mark Dowie. Conservation Refugees, the Hundred-Year Conflict Between Global Conservation and Native Peoples. The MIT Press, Cambridge, MA, 2009, 340 p.
  • Fabrice Nicolino, Qui a tué l’écologie ?, Les Liens qui Libèrent, 2011, 300 p.




La renaissance des marais salants de Guérande

Texte de Gildas Buron, historien des salines de Guérande et conservateur du Musée des Marais Salants à Batz-sur-Mer

Dispositifs de production de sel de mer, les salines mettent en œuvre la force marémotrice, le soleil et les vents. Leur implantation suppose le terrassement de sols imperméables situés aux limites des plus hautes mers. La technique de production étant solaire, le littoral doit offrir trois conditions climatiques essentielles à l’évapo-concentration de l’eau de mer : faibles pluies estivales, longues périodes d’ensoleillement et vents réguliers.

La technique des marais salants est à l’origine de paysages de terre et d’eau originaux. Dans la région de Guérande, ils sont d’autant plus complexes qu’ils ont été structurés autour de réseaux d’étiers et d’émissaires sinueux et étroits qui relient l’espace de production à la mer et conditionnent formes et surfaces des parcelles.

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Etier du Grand-Bal et les salines des Baules (photo G. Buron)

Deux grands types de bassins sont identifiables, délimités par de forts talus d’argile, les réservoirs et les salines. Le réservoir principal se nomme vasière, et le ou les réservoirs secondaires cobier(s). Seule la vasière reçoit directement l’eau de la mer. Selon les saisons, elle titre entre 30 et 35 g. de sel dissout par litre. Elle y est admise en manoeuvrant une trappe à l’occasion des marées de vive-eau. Les autres bassins, cobiers et salines, s’alimentent à ce réservoir.

Les salines ont des surfaces intérieures compartimentées par des levées d’argile en bassins d’évaporation et de concentration de l’eau de mer, de stockage de la saumure et de cristallisation dans les oeillets. Leur importance foncière est exprimée en nombre d’oeillets. Une saline en comprend quelques unités à plusieurs centaines dans quelques cas rares. La capacité de production s’exprime de même en terme d’oeillets. Entre 1850 et 1860, à leur apogée territoriale, les quatre bassins salicoles du littoral entre Loire et Vilaine totalisaient près de 33 400 oeillets. Le pays de Guérande compte environ 1 850 hectares de marais salants, répartis en deux bassins distants d’une vingtaine de kilomètres : le bassin dit du Mès ou de la Baie de Mesquer (350 hectares) et le bassin de Batz-Guérande (1 500 hectares).

Les plus anciennes attestations écrites relatives à l’existence de marais salants en Bretagne remontent au IXe siècle pour le pays guérandais. Elles se lisent dans des chartes du cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon. Leur analyse souligne l’extraordinaire continuité de l’activité salicole sur des parcelles en production depuis l’époque des petits-fils de Charlemagne. Puis la documentation écrite atteste de l’expansion des salines. Elles atteignent une première apogée au Moyen Âge central qui sera consolidée aux siècles suivants. Les besoins en sel de la pêche harenguière en Europe du Nord-Ouest d’abord, ceux de la pêche morutière ensuite, ont largement favorisé cette expansion.


Grandeur et décadence d’une activité de production

Les transports maritimes au long cours et régionaux via le cabotage côtier, les transports fluviaux et terrestres ont assuré la diffusion des sels de Guérande. Longtemps les plus importants débouchés commerciaux ont été internationaux.

Mais, au XIXe siècle, favorisée par le Blocus continental, la diffusion des sels industriels anglais sur les marchés traditionnels des sels atlantiques a progressivement réduit les marchés et l’activité des ports guérandais. De maritime, le commerce des sels s’est redéployé sur les réseaux des routes départementales de l’Ouest. À partir de 1880, le réseau ferroviaire permet aux sels du pays guérandais de conserver jusqu’au début de la Seconde Guerre Mondiale une place significative sur les marchés régionaux.

Néanmoins, ils s’y heurtent à la concurrence grandissante des sels industriels de l’Est et du Midi de la France. Produits à bas coûts, ils se caractérisent par une blancheur qui devient un critère de distinction qualitatif pour le consommateur. L’augmentation croissante de la production des sels industriels et une organisation offensive de leur distribution contribuent dès lors à la dépréciation des sels marins artisanaux en général et ceux du pays guérandais en particulier et partant à l’effondrement de leurs prix de vente.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale cette dépréciation s’accélère. Tout y concourt. Le succès des sels industriels auprès des consommateurs bien sûr, mais aussi les profondes mutations des techniques de conservation qui entraînent la disparition des salaisons alimentaires domestiques. Sont aussi en cause dans ce processus, les nouvelles logiques de distribution des produits alimentaires, la rapide évolution des pratiques alimentaires dont la prise des repas hors foyers puis la consommation accrue de plats cuisinés. Enfin, s’y est ajoutée l’évolution des normes diététiques et des pratiques sociales en matière sanitaire. Ainsi, d’une manière générale, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la consommation de sel alimentaire s’est-elle notablement réduite en France et dans tous les pays occidentaux.

Dans ce contexte, la concurrence des sels industriels précipite la disparition des productions artisanales atlantiques après avoir conduit la paysannerie qui en vivait au seuil de la pauvreté. Siècle de tous les paradoxes et de toutes les contradictions, le XXe siècle a lentement et sans état d’âme fait disparaître un grand nombre de salines côtières ou conduit à leur transformation irréversible. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la difficile cohabitation des activités salicoles et de la villégiature balnéaire qui s’implante sur le littoral de Saint-Nazaire s’est traduite par le comblement des marais salants de Pornichet, laissant augurer de ce qu’il pouvait advenir des salines côtières au siècle suivant au nom du progrès triomphant. C’est ainsi que les salines du Morbihan cessent de produire en 1960 (Carnac) et 1961 (Saint-Armel).


Le temps des combats et des protections

Le littoral connaît alors de profondes mutations. Le temps de l’intrusion balnéaire est bel et bien terminé et a laissé place à celui du tourisme de masse. En plein essor, il contribue à la transformation radicale des anciennes stations balnéaires de la Belle Époque. Une frénésie d’expansion urbaine s’empare des zones de villégiatures de Pornichet, de La Baule et du Pouliguen. Cet espace est unilatéralement décrété par la Datar, dans le cadre des politiques d’aménagement du territoire, comme voué aux loisirs et au nautisme de plaisance considérés comme facteur de développement économique et créateurs d’emplois. La chute de la valeur du sel ayant entraîné celle de la rente foncière des marais salants, l’espérance et l’illusion de la spéculation changent le rapport des propriétaires de salines à leur patrimoine. Le bassin salicole guérandais est condamné à disparaître. Déjà, les salines abandonnées de La Baule-Escoublac et du Pouliguen laissent place à des décharges à ciel ouvert bientôt loties d’habitations. De même, les trois groupes de salines du Croisic subissent un sort similaire. De parcs ostréicoles éphémères en dépotoir urbain, le plus grand site sera transmuté en parcs d’activités artisanales. Seule, la dernière des salines cultivées sera en partie préservée après transformation pour l’aquaculture puis la culture des algues marines alimentaires. Les aménageurs ont alors scellé le sort des marais salants et les considèrent comme une réserve foncière appelée à permettre le développement des activités nautiques, des lotissements résidentiels ou zones économiques d’activités artisanales.

Au cours des Trente Glorieuses, l’intégrité du bassin salicole de Batz-Guérande est donc sérieusement menacée. Les projets d’aménagements lourds se multiplient : port de plaisance et marina, construction d’immeubles et tracé routier dit de la Rocade de La Baule. Devant les projets des aménageurs et des promoteurs, les paludiers se mobilisent pour défendre un terroir outil de travail et de production. Leur combat est rapidement médiatisé. Il emporte l’adhésion du monde universitaire nantais qui apporte à la défense des marais salants de solides contributions et compétences. Pas moins de dix-sept associations culturelles, de protection de la Nature, mais aussi de riverains, résidents permanents ou saisonniers de zones en bordure du marais, s’opposent aux projets immobiliers et à la Rocade, portant la bataille sur le terrain juridique. Malgré le soutien de quelques personnalités politiques dont celui d’un ancien ministre et député-maire de la Baule, les aménageurs finissent par renoncer à leurs projets.

Au final, les efforts conjugués des paludiers, de la communauté scientifique, du collectif associatif et des citoyens permettent d’arracher une mesure forte de protection du bassin salicole de Batz-Guérande. En 1996, après vingt ans d’âpres luttes, les paludiers et leurs soutiens obtiennent qu’il soit érigé en raison de leur valeur « paysagère, historique et biologique » en site classé du département de la Loire-Atlantique au titre de la loi du 2 mai 1930.

Cette mesure de préservation s’étend à 3 800 hectares de zones naturelles et humides réparties sur cinq communes : Batz-sur-mer, Guérande, La Turballe, Le Croisic et le Pouliguen. Depuis, le processus de patrimonialisation des marais s’est encore renforcé. En 2002, le ministère de l’Agriculture et de l’Environnement, conjointement avec le ministère de la Culture et de la Communication, proposent d’inscrire les salines de Guérande sur la Liste indicative des paysages culturels du « Patrimoine mondial de l’Humanité » (Unesco).



Le temps de la reconnaissance d’un statut

En parallèle aux actions visant à la préservation de leur outil de travail, les paludiers, jusque là sans statut reconnu, vont se battre pour obtenir l’inscription de leur profession dans la nomenclature du Ministère de l’Agriculture. Quantité certes négligeable de la paysannerie de l’Ouest, au plan local, en 1973, elle compte encore 248 membres, dont une part significative de double actifs. Les plus jeunes et déterminés de cette génération de paludiers s’engagent alors dans une première démarche de reconstruction de l’économie salicole. Avec l’appui des Pouvoirs publics, en 1972, un groupement de producteurs est créé. Il place les producteurs en position de discuter quasi d’égal à égal avec les négociants en sel. Conscient du vieillissement de la population active et des difficultés qu’elle rencontre à maintenir en bon état le réseau hydraulique des marais où la friche gagne faute de bras, il accueille des jeunes gens en rupture avec le monde de l’emploi salarié pour leur transmettre ses savoir-faire. En 1979, il obtient la création d’un centre de formation professionnelle permettant l’apprentissage du métier de paludier et donc la pérennisation de sa filière professionnelle. Outre l’acquisition de compétences en matière de terrassement, d’hydraulique et de production salicole, la formation donne droit aux aides à l'installation en vigueur dans l’agriculture.

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L’heure de la récolte du gros sel qui s’est cristallisé sur le fond de l’oeillet. (photo G. Buron)

Le dispositif est toujours en place. Mais de formation diplômante de capacité, il a été transformé, en 1995, en Brevet professionnel de responsable d'exploitation salicole ou BP REA encadré par la Chambre d’Agriculture de la Loire-Atlantique puis commué un BP REA Option saliculture. Financé depuis lors par deux régions administratives, le dispositif a permis l’installation de paludiers et de sauniers sur toute la côte atlantique.

Malgré, la réforme du statut foncier de 1984 abolissant le métayage au profit du fermage, la situation économique des paludiers demeure précaire et les tensions vives entre les acteurs du marais. Depuis 1976, saison de sel mémorable en raison d’une grande sécheresse, les récoltes se succèdent entre mauvaises et médiocres. Aussi, les stocks pour le marché peinent-ils à être constitués et encore la vente s’en fait à bas prix. En l’absence d’une politique de promotion digne de ce nom, le produit n’est pas identifié par les consommateurs d’autant que la grande distribution ne le propose pas à la vente ! L’essentiel du commerce est entre les mains d’un seul négociant, également producteur industriel. Hégémonique au plan local, il est de fait en France dans une situation de monopole commercial de la distribution du sel et ne défend pas la mise en marché du sel breton.



Le temps de la reconquête économique

La création d’une filière sel artisanal intervient à partir de 1988. L’initiative en revient au Groupement des producteurs de sel. En 1988, celui-ci adopte le statut de coopérative agricole. En 1993, ce statut lui permet de créer sa propre société commerciale, Les Salines de Guérande, et de rompre progressivement puis définitivement ses relations avec les négociants du passé. Il lui est alors possible de définir une stratégie économique reposant sur trois piliers : les marais salants, les paludiers, un produit : le sel de Guérande. Cette stratégie s’appuie sur plusieurs constats fondamentaux et argumentés : les qualités intrinsèques de ses productions non raffinées, gros sel et fleur de sel à faible teneur en chlorure de sodium, l’exigence qualité des consommateurs et la reconnaissance de leurs pratiques actuelles, la nécessité d’un positionnement marketing clair et d’une communication adaptée.

Fort de la certitude de produire un sel de qualité supérieure car mise en avant par plusieurs études objectives, dès 1990, des professionnels s’engagent à respecter le cahier des charges et la charte de la marque associative privée Nature & Progrès. Puis, en 1991, l’interprofession APRO.SEL.A à laquelle participe le Groupement des producteurs obtient de commercialiser une partie des sels de Guérande sous le signe national de qualité Label Rouge.

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(photo Pascal François)

Sitôt en 1992 suit une importante campagne de communication qui relance le Sel de Guérande. Elle contribue très largement à la promotion d’un produit du terroir tombé dans l’oubli : l’emblématique fleur de sel. Héritière historique du Groupement des producteurs de sel, la Société coopérative agricole-salines de Guérande constituée en 1988 a largement porté cette dynamique. Depuis 1997, la totalité du sel des adhérents de cette coopérative est vendue par ses soins. La maîtrise de la filière économique de la production est complète : achat de la production, stockage, conditionnement et commercialisation. En 2011, elle regroupait les deux tiers des paludiers répartis sur le bassin de la Baie de Mesquer et celui de Guérande.

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Vue du siège de la Société Coopérative agricole-salines de Guérande ( photo Pascal François)

Les sels des paludiers indépendants ou hors coopérative sont mis sur le marché par des entités telles que les sociétés Trady-Sel, le Natursel de Guérande, les établissements Bourdic et Le Gabelou EURL-Rio. Des volumes moindres sont commercialisés par de plus modestes négociants et exploitants qui pratiquent la vente directe en bord de route… et en demi-gros.

D’autres reconnaissances positives pour les sels marins artisanaux recueillies à la main en été acquises. En avril 2007, contre les lobbies des producteurs de sels industriels à forte teneur en chlorure de sodium employés dans l’industrie chimique, l’Europe a reconnu l’intérêt alimentaire du sel de mer, puis, en mars 2012, elle a accordé une Indication Géographique Protégée « Sel de Guérande ». Destiné à plus de 95 % à l’alimentation humaine, il est vendu comme sel de table et pour les productions agro-alimentaires. (1)

Typicité et qualité de la production guérandaise sont désormais largement reconnues et valorisées. En renouvelant salaisons domestiques ou artisanales, les industriels de l’agro-alimentaire la valorisent en même temps que les productions agricoles régionales et les produits alimentaires régionaux : beurres, margarines, fromages, charcuteries, poissons salés fumés, biscuits et confiseries…


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Le sel marin moulu conserve intégralement les éléments du gros sel récolté à la main. (photo Pascal François)

Le marché du sel de Guérande est essentiellement français. Il est désormais possible de le trouver en grandes et moyennes surfaces, boutiques et épiceries spécialisées, marchés régionaux et de terroirs. Le sel de Guérande s’exporte, mais en faible quantité compte tenu des tonnages globalement récoltés et vendus. À l’international, les principaux clients sont le Japon et les États-Unis.

Les résultats économiques des quinze dernières années sont à la hauteur des efforts et de l’énergie dépensés depuis les années 1970. La population active du marais s’est stabilisée, s’est rajeunie et s’est consolidée. Les difficultés de la première heure passées, la formation mise en place a permis de 1979 à 2009 d’installer 232 exploitants sur les deux sites de production de la presqu’île guérandaise. Dans un premier temps, c’est une population majoritairement extérieure à la région qui s’est initiée à la profession. Mais depuis 1995, devant la success-story du Sel de Guérande, des jeunes issus du monde paludier traditionnel se réapproprient le métier. Les statistiques de la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique publiées en 2011 témoignent de la performance de la réussite. Elle évalue à près de 300 les chefs d’exploitations dont une quarantaine de femmes et 190 paludiers à temps plein.

Ils se répartissent sur les deux sites, à savoir 40 exploitants sur la Baie de Mesquer et 250 sur celui de Batz-Guérande. En outre, la production salicole génère selon les années de 115 à 120 emplois directs salariés et quelques 300 emplois saisonniers.

Si le nombre d’oeillets productifs en 2011 n’est que légèrement supérieur à l’état de 1973 (11 500 contre 11 320), il convient de souligner qu’à partir de 1996, le nombre d’oeillets cultivés par la relève formée depuis 1979 a dépassé celui des abandons pour cause de cessation d’activité des ainés.



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En saison froide travaux d’entretien des marais salants. (photo G. Buron)

La classe d’âge des 40-45 ans cultive à elle seule plus de 40 % des oeillets productifs. Cette génération a aussi réussi le tour de force de rénover plus de 20 % des oeillets en culture à l’occasion de chantiers collectifs fortement valorisés et formateurs. Des salines retournées à la friche de longue date ont ainsi été réhabilitées. Aussi, la progression des surfaces exploitées est-elle bien réelle et en régulière augmentation. La production des oeillets exploités s’élève en moyenne annuelle à 16 000 tonnes de gros sel et 700 tonnes de fleur de sel. Quant au chiffre d’affaire annuel dégagé par la saliculture guérandaise, coopérative et producteurs hors système coopératif, il avoisine désormais les 24 millions d’euros.



Un bilan à méditer

À ce stade de l’histoire, la reconquête économique est certaine et participe à l’identité d’une profession organisée, dynamique, entreprenante et de surcroît citoyenne qui pense son avenir. Production et commercialisation ont été relancées assurant des revenus décents aux producteurs et des conditions de vie identiques au standard de leurs contemporains. La lente patrimonialisation des marais salants s’étant faite au rythme d’une prise de conscience généralisée des déséquilibres que le modèle économique libéral fait peser sur l’environnement, une dialectique nouvelle s’est établie entre saliculture et tourisme. La pression du second reste forte, mais de conflictuel, le rapport au tourisme est devenu constructif et partenaire. Les chiffres indiquent et démontrent qu’à nombre équivalent d’oeillets productifs et en jouant la carte de la qualité plutôt que de la quantité, il est possible de vivre mieux et de faire vivre davantage de personnes sans nuire au territoire.

Depuis les années 1990, la dynamique impulsée dans les marais salants de Guérande a conduit à envisager une reprise de la saliculture artisanale sur les îles de Ré, d’Oléron et de Noirmoutier mais aussi aux Moûtiers-en-Retz, à Bourgneuf-en-Retz ainsi qu’à Saint-Armel et à La Trinité-sur-Mer dans le Morbihan. Confortés dans le bien-fondé de leurs actions, des paludiers guérandais engagés dans l’Association Univers-sel, partagent savoir-faire et expériences avec des populations saunières extra-européennes confrontées à de graves difficultés environnementales ou économiques. En somme une illustration du penser global, agir local en action à méditer.


Notes :

(1) Objet d’une récolte quotidienne à la main, le sel de Guérande est un mélange d’éléments divers qui ne comporte que 35% de chlorure de sodium auquel sont associés d’autres sels et notamment du chlorure de magnésium très utile à la santé humaine. En outre et à faibles doses sont présents des métaux : fer, cuivre, zinc et manganèse qui présentent aussi un intérêt alimentaire, tout comme le fluor et l’iode également présents. Les cristaux restent friables sous les doigts. De grandes sociétés exploitent des salines solaires industrielles où la récolte annuelle est mécanisée. Ils exploitent aussi des gisements de sel fossile par injection d’eau et pompage de la saumure. Puis vient le raffinage pour obtenir un sel composé à 95% de chlorure de sodium. Le sel industriel, très blanc, dur et sec, est apprécié par les industries agro-alimentaires notamment parce qu’il a peu tendance à former des grumeaux. Il est évident qu’un raffinage aussi poussé élimine pratiquement les éléments les plus intéressants sur le plan nutritionnel qui sont présents dans le sel marin de Guérande.


Bibliographie :

BURON (Gildas), « Bretagne des marais salants », Morlaix, Skol Vreizh, 1999-2000, 2 volumes.

BURON (Gildas), « Regards sur les marais salants du sud Bretagne (XIXe-XXe siècles)», Aux rives de l’incertain. Histoire et représentations des marais occidentaux du Moyen Âge à nos jours, Paris, Éditions d’Art Somogy, 2002, p. 210-218.

Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique, Diagnostic salicole, 2011, (accessible sur le site de la chambre d’agriculture).

Collectif, « La Presqu'île guérandaise », Penn ar Bed, n°81, juin 1975, 80 pages.

Collectif, « La Presqu'île guérandaise », Penn ar Bed, n°83, décembre 1975, 76 pages.

DEMAURE (Jean-Claude), « La rocade de La Baule : un conflit exemplaire », Penn ar Bed, n°112, 1983, p. DURANDIERE (Ronan), DEVALS (Christophe), GALLICE (Alain), BURON (Gildas), CUSSONNEAU (Christophe), PILLET (Denis) et DESVIGNE (Virginie), Guérande, ville close, territoire ouvert, Nantes, Inventaire général du patrimoine culturel (coll. « Cahiers du patrimoine » - n°111), 2014, 400 pages.

GALLICE (Alain) et BURON (Gildas), « Histoire et patrimonialisation du marais salant du Pays de Guérande depuis les années 1970 », Les Cahiers du pays de Guérande, n°50, numéro spécial, 2010, p. 2-45

OLIVAUX (André), « Les marais salants de la presqu’île guérandaise : de l’hydrosystème à l’anthropo-système », Les Cahiers du pays de Guérande, n°45, 2005-2006, p. 4-17.

LEMONNIER (Pierre), « Le sel de Guérande, XIXe et XXe siècles », Annales des Bretagne et des pays de l’Ouest, tome 84, 1977, n°4, p. 641-662.

LEMONNIER, Pierre, Paludiers de Guérande. Production du sel et histoire économique, Paris, Institut d’Ethnologie/Musée de l’Homme/Muséum National d’Histoire Naturelle, 1984, 282 pages.

PERRAUD (Charles), « La renaissance du sel de l’Atlantique en France (1970-2004 », Seminário Internacional sobre o sal português, Porto - Aveiro, 27, 28, 29 mai 2004, Porto [Portugal], Instituto de História Moderna da Universidade do Porto/Faculdade de Letras, 2005, p. 425-430.

POISBEAU-HEMERY, Jeanne (dir.), Marais salants, connaissance des richesses naturelles de la Loire-Atlantique, premier supplément hors-série du bulletin trimestriel de la Société des Sciences Naturelles de l’Ouest de la France, 1980, 326 pages.




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