Géographie de la Bretagne/Les hommes et leurs espaces

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Auteurs : Loeiz Laurent & Guy Baudelle
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'''Auteurs : Loeiz Laurent & Guy Baudelle'''
  
 
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= <span style="color:#000080;"><span style="font-size:xx-large;">La démographie (2014)</span></span> =
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'''Auteur : Loeiz Laurent'''
 
'''Auteur : Loeiz Laurent'''
  
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Comme tout animal qui se respecte, les hommes semblent libres de leurs déplacements. Leur accumulation sur certains sites obéit néanmoins à des lois rigoureuses. L’abondance des ressources offertes par la nature n’est pas seule en cause. Les innovations techniques, le mode de gouvernance des États, les lois votées les plus diverses peuvent avoir un impact majeur. Après un recul sur les siècles passés, nous passerons aux années les plus récentes, posant la question de la diversité des stratégies de développement et des moyens de maîtriser la répartition du peuplement.
  
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<span style="font-size:medium;">'''Chapitre en cours de rédaction.'''</span>
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== Deux siècles d’une évolution contrastée ==
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Par lettres patentes données à Paris le 4 mars 1790, Louis XVI ordonnait la division de la France en 83 départements, dont cinq en Bretagne, tous de même superficie au sein de la province. Les Côtes-du-Nord étaient alors le département le plus peuplé, la Loire-inférieure le moins peuplé. Resté à peu près figé depuis cette date, le nombre des communes témoigne de cette hiérarchie des populations. Mais les temps ont changé ; l’ordre s’est inversé ; en 1994, les Côtes-d’Armor comptaient deux fois moins d’habitants que la Loire-Atlantique et l’écart n’a fait que croître depuis.
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Deux faits sont à l’origine de ce grand basculement. Au nord, la fin des activités textiles. Le blocus continental, la disparition de la marine à voile, la perte du marché américain, la concurrence du tissage industriel concentré près des bassins miniers ont eu raison de nos 100.000 métiers à tisser. Au sud, née d’une découverte nantaise, la conserverie a essaimé sur la côte, entraînant l’essor de la pêche et de la culture des légumes.
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Alors que la construction navale démontrait la qualité de la main-d’œuvre bretonne, le développement industriel breton a longtemps buté sur le prix de l’énergie. La Bretagne aurait pu disposer, grâce au charbon gallois, de l’énergie la moins chère de France, mais les droits de douane dissuasifs imposés par la Nation pour la défense de ses sources d’énergie en ont décidé autrement. La Bretagne, observait le Nobel d’économie Maurice Allais, a porté trop seule le poids d’une politique d’intérêt national. Un traitement plus équitable lui aurait permis de s’industrialiser plus tôt, rendant possible en juin 40 la constitution d’un « réduit breton ». Mais on ne refait pas l’histoire…
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Le mieux est venu après la guerre de l’électricité. Son transport étant onéreux, son prix avait longtemps favorisé la proximité des grands barrages. Mais tout a changé avec l’arrivée du nucléaire. Le prix du courant devenait a priori uniforme. L’industrie pouvait désormais s’implanter n’importe où ; l’électricité suivrait. Le nucléaire s’installe à Brennilis, l’automobile à Rennes, l’électronique à Lannion.
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L’électricité à un tarif abordable ne fut pas le seul beurre mis dans les épinards bretons. L’argent abondait. Ce furent d’abord les soldes des nombreux engagés en Indochine, leurs tombes entretenues par l’État restant dans le midi de la France. Ce fut aussi la prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, entraînant la nécessaire prise en charge des enseignants du privé en 1959 (loi Debré). Les Bretons cessèrent de payer deux fois pour la formation de leurs enfants. Celle-ci était souvent pour les agriculteurs le premier poste de dépense. Ils purent désormais investir dans leurs exploitations.
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La diminution de l’exode eut également des conséquences heureuses pour l’économie bretonne. La moitié des terres agricoles étant en faire valoir direct, ceux qui en héritaient devaient payer des soultes à leurs frères et sœurs. Compte tenu de la dimension des familles et des taux de départ, c’est près du sixième de la valeur des terres que chaque génération devait racheter à des personnes ayant quitté la région. Cela représentait des sommes considérables. Or les départs nets de jeunes autour de 20 ans ont beaucoup perdu de leur importance entre 1954 et 1982 dans les quatre départements bretons. Ils touchèrent 30, 20, 10, 8 et 12% des jeunes Bretons entre les recensements de 1954, 1962, 1968, 1975, 1982 et 1990. De plus, en nombre croissant, les exilés revenaient en Bretagne avec de jeunes enfants au moment de fonder un foyer. Le patrimoine breton restait au pays.
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Peu après la loi Debré, la régionalisation du 4ième Plan 1962-1965 engagée a posteriori pour satisfaire la demande bretonne d’une loi programme a également rectifié bien des inégalités. Un même effort d’équité a marqué le Plan routier breton. La région avant 1968 pouvait s’estimer heureuse de recevoir 2,5% des crédits routiers nationaux de rase campagne pour 5% de la population. Avec son plan routier, la Bretagne passera pendant quelques années à 6 ou 7% des crédits nationaux, ses quatre voies recevant malgré tout une sous-couche de moins que dans le reste du territoire.
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Longtemps plus densément peuplée que la moyenne nationale, la Bretagne est moins coûteuse à aménager. Son urbanisation équilibrée est source d’économie. Petites villes, petites entreprises, petits ports. Elle pourrait avoir aussi de petits impôts…
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== L’heure des métropoles ==
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Le graphique ci-dessous montre la part des départements bretons dans la population française métropolitaine entre 1962 et 2013. Dopés par les métropoles nantaise et rennaise, bénéficiant plus facilement du desserrement de la région parisienne, les départements de Loire-Atlantique et Ille-et-Vilaine décollent. Les autres départements bretons reculent par rapport à l’ensemble de la France métropolitaine, un léger mieux se faisant sentir en fin de période pour le Morbihan et à un moindre titre les Côtes-d’Armor.
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On notera le coup de frein enregistré dans les cinq départements entre 1982 et 1990. Avec l’abandon des indicateurs de situation et des clés de répartition, l’effort passé d’équité territoriale déserte le 8ième Plan (1981-1985. Critiqué à Paris pour son projet de remplacer par quinze pays les cinq départements bretons, le Célib se voit marginaliser par Ouest-Atlantique. En 1978, il a disparu. De nouvelles inquiétudes apparaissent, ciblant les banlieues. Minimal entre 1975 et 1982, l’exode des jeunes Bretons reprend de l’ampleur par la suite comme indiqué plus haut.
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[[File:Démographie-tableau1.jpg|thumb|center|800px|alt=Démographie-tableau1.jpg]]
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Établi à partir des populations 2006 et 2013 estimée, le tableau suivant distingue solde naturel et migrations. La plus forte croissance de l’est breton semble due à l’excédent des naissances sur les décès autant qu’aux migrations. Il faut voir là les effets d’une forte fécondité, certes, mais aussi d’un apport de jeunes ménages, contrairement à l’ouest breton. Le fort taux d’immigration observé dans les Côtes-d’Armor et le Morbihan tient en effet surtout à l’abondance des retraités, conséquence d’un important exode passé – on revient au pays – et d’un littoral attractif.
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La Bretagne ne doit pas devenir une vaste maison de retraite dénoncent certains. Elle est en effet déjà particulièrement prisée des retraités. « Un petit jardinet, un médecin à proximité, des chemins pédestres, une prise en charge par les pompes funèbres moins traumatisante pour le conjoint survivant qu’à Paris » m’expliquait un artisan de Belleville fuyant la grande cité.
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Nous pouvons développer ce courant. N’est-il pas étonnant de voir combien l’on dépense à tous les niveaux pour faire venir des touristes quelques semaines par an quand les retraités, pourtant à demeure, ne sont l’objet d’aucun intérêt ? Il faut seulement veiller à ce que cela ne déstabilise pas les finances départementales. En cas d’admission dans une maison de retraite, certains départements du midi de la France demandent aux départements d’origine de s’engager à financer les séjours en cas de grande dépendance…
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Pas de priorité cependant pour les retraités. Cette magnifique propriété dominant la vallée ou bordant la forêt, y accueillerons-nous une colonie de vacances, une maison de retraite, un établissement de thalassothérapie, un centre de recherche de niveau international ? Il faudra choisir.
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Les personnes nées à l’étranger, étrangères ou naturalisées, sont également de plus en plus nombreuses à venir grossir la population bretonne ; une politique consciente d’étalement des minorités visibles sur le territoire fait sentir là ses effets.
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== Des stratégies diversifiées ==
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« Nantes et Rennes concentrent trop la croissance » déplore-t-on souvent. Mais le développement de la Bretagne n’est pas une couverture à tirer vers soi. Plusieurs partitions peuvent être jouées simultanément. Indépendamment de ses atouts, qualité de la population, appareil éducatif, diversité des monuments et des paysages, ressources naturelles terrestres et maritimes, la Bretagne a trois atouts en main, l’un la tourne vers l’est, l’autre vers l’ouest, le dernier vers le nord et le sud. A chacun de choisir ses atouts.
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L’accueil des activités parisiennes souhaitant respirer plus librement constitue notre premier atout. Les 90 minutes qui vont bientôt séparer Rennes et Nantes de la gare Montparnasse vont lui donner un fameux coup de fouet. Nous devons tirer de cet atout les fruits les meilleurs.
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Le Célib avait jadis imaginé une ville nouvelle sur la Rance au nord de Dinan. Si le tracé de la voie ferroviaire Rennes-Dinan-Saint-Brieux initialement prévu sous le second Empire n’avait pas été refusé par crainte des attaques d’un éventuel viaduc par les Anglais, les bords de la Rance auraient pu devenir un pôle majeur d’attraction pour des activités trouvant à moins de deux heures de Paris un extraordinaire cadre de vie. Les bords de la Vilaine pourraient jouer ce même atout.
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Le second atout de la Bretagne, plus sensible à l’ouest de la péninsule, concerne sa position au cœur des grandes routes maritimes. La vocation militaire de Brest a pu freiner l’expansion de son port, aujourd'hui incapable d’accueillir les navires ayant franchi le canal de Panama recreusé. Faut-il se tourner vers un autre site ? L’affaire est importante. On ne dira jamais assez ce que notre agriculture, deux fois plus dense que la moyenne nationale, doit à nos ports. Des esprits avisés prévoyaient en 1970 la fin des volailles et du porc en Bretagne. L’aliment céréalier et les consommateurs étaient dans le bassin parisien. En imposant à L’Europe les importations de manioc et de soja libres de droits, l’Amérique en a décidé autrement. La proximité de la mer a permis à notre bétail de pâturer les terres du monde entier. Nous pouvons mieux faire naturellement. Avons-nous fait le plein des activités de sous-traitance susceptibles d’intéresser les industriels de l’est américain ?
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Le troisième atout de la Bretagne est sa position au cœur de l’arc atlantique. Après le bassin parisien et le sillon rhodanien, cet axe est troisième pôle français de développement. Victime du tout Paris, il n’est irrigué ni par le cabotage, ni par le fer. Seule l’autoroute des estuaires a réussi à s’imposer. Un saut n’est-il pas possible dans le ferroviaire ? Parions qu’aujourd'hui, en choisissant convenablement l’heure de départ, des cyclistes joignant en se relayant les départements littoraux de Dunkerque à Bayonne feraient mieux que la SNCF. Ne pourrait-on penser à un aérotrain ? Bras droit de Pléven à la région, Louis Ergan a pu déplorer jadis que le terre-plein central de nos quatre voies n’ait pas été conçu à leur intention. Un aéroport permettant pour partie à l’arc atlantique d’échapper au passage obligé par Roissy suppose un tel lien.
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== Maîtriser la répartition du peuplement ==
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On aurait tort de voir dans les règles du marché les causes d’une concentration de la population jugée excessive. S’il y a des reproches à faire, c’est bien plutôt aux États, qui ont en main des cartes maîtresses inutilisées, et à la nature même des choses, comme nous allons le voir immédiatement.
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La répartition de la population n’est pas de ces phénomènes spontanément régulés, tel le niveau d’un liquide dans des vases communicants. Tout déséquilibre tend à s’y annuler de lui-même. Cela vaut pour les quantités à produire et les prix. L’intervention étatique en ces domaines, comme l’a prouvé l’aventure communiste, fait alors pis que mieux. La planification centrale des processus de production n’a pu y engendrer que pénuries incompréhensibles et immenses gaspillages.
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D’autres phénomènes par contre ne sont pas régulés. Chez eux s’appliquerait plutôt la loi des bulles de savon communicantes. Si deux bulles sont mises en communication, la plus petite, même infinitésimalement, se vide dans la plus grande. Tout déséquilibre ainsi va croissant. Or une telle loi joue en matière de répartition des richesses entre les individus comme en matière de répartition de la population sur un territoire. « A celui qui a l’on donnera ; à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a » constatait la sagesse antique.
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Que la croissance démographique d’une commune ou d’un bassin d’emploi soit un processus non régulé est une évidence. Les ménages voulant s’éloigner des centres urbains choisissent de préférence des communes peuplées de 500 à 5000 habitants, taille optimale à leurs yeux. Ce faisant, ils détruisent cet optimum, ne cessant pas brutalement d’accourir si la commune dépasse les 5000 habitants. Semblablement, ce sont les bassins d’emploi ou pays animés par des villes de 100.000 ou 200.000 habitants qui connaissent les taux de croissance les plus élevés. Là aussi cela détruira l’optimum et les villes, qu’il faut sans cesse rebâtir sur place, perdent ainsi progressivement leur attrait.
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Il nous faut cesser de dire, devant de tels processus, « C’est le sens de l’histoire, adorons-le ». L’État et les autres collectivités se doivent ici d’intervenir. L’on dispose à cet effet de deux leviers majeurs : le découpage territorial et la répartition des finances publiques.
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Côté découpage, il n’est que de regarder en France les effets du découpage départemental décidé en 1789 pour s’en persuader. Depuis 1800, date de l’érection des arrondissements, ceux centrés sur une préfecture ont plus que doublé leur population. Ceux centrés sur une sous-préfecture ont vu la leur divisée par deux. A population égale, les villes chefs-lieux de département attirent chaque année presque deux fois plus de population que les autres villes. Qui veut maîtriser la répartition du peuplement sur un territoire ne peut se désintéresser des questions de découpage. Le Célib, prônant en 1971 le remplacement des cinq départements bretons par quinze pays, ne raisonnait pas autrement. Pour équilibrer l’attraction dominante des villes préfectures en leur département, il n’a pas hésité à proposer d’associer entre elles plusieurs sous-préfectures ou anciennes sous-préfectures. Ce fut le cas en Trégor avec Guingamp, Lannion et Paimpol, dans les Pays de Rance avec Dinan, Dinard et Saint-Malo, ou encore en Bretagne centrale avec Pontivy, Loudéac et Ploërmel. Pour limiter la croissance de certaines villes, certains ont pu préconiser alors de glisser entre elles des pays encore en pointillé, Châteaulin entre Brest et Quimper, Auray-Quiberon entre Vannes et Lorient. Si « Le découpage d’un grand Etat est à lui seul une constitution », comme l’affirmait Thouret, rapporteur du projet, en 1789, le découpage d’un grand Etat est aussi à lui seul un aménagement du territoire. Cela vaut aussi pour le découpage communal, levier qui devrait rester en totalité dans les mains des pays.
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Côté finances, les moyens à la disposition des décideurs sont tout aussi puissants. L’on peut considérer à cet effet la façon dont la France et l’Italie ont pu prendre en compte les bilans migratoires dans leurs dotations aux régions. L’Italie, dans une optique de rééquilibrage, a choisi de donner plus par habitant aux régions souffrant d’un bilan migratoire négatif. La France, dans une optique de réponse aux besoins prévisibles d’équipement, a préféré donner plus aux régions bénéficiant d’un bilan migratoire positif. On ne peut imaginer démarches plus opposées. Un État ne peut être neutre.
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Mariant découpages et moyens financiers, les modes de gouvernance s’avèrent fondamentaux. En tout territoire doté d’un budget, la population a tendance à s’agglomérer en un point. Communes, départements ou États suivent cette loi selon l’importance des budgets gérés aux différents niveaux. Les pays centralisés comme la France ou la Grèce vont voir la population de leur capitale exploser. Les pays fédéraux comme l’Allemagne, la Suisse, les Indes ou les États-Unis auront au contraire une population mieux répartie.
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Précisons toutefois que l’explosion des capitales a une fin. Le bilan migratoire de l’Ile-de-France est aujourd'hui négatif. Il y a bien régulation de la population de la métropole, mais au point de saturation. La ville cessera de croître non pas quand elle aura une taille optimale – elle attire au contraire un maximum de population – mais quand elle aura une taille maximale. Ceux qui la fuient débordent alors ceux qui sont plus ou moins contraints de s’en rapprocher. Malheureusement, et pour prévenir des mouvements sociaux, les États s’emploient à grands frais à repousser ce terme. C’est tout l’enjeu de Grand Paris et de la C8 créée en 2008, conférence des huit régions du bassin parisien chargée de mobiliser un maximum de financements nationaux et européens pour le Grand Paris.
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Découpages et institutions politiques et financières, la puissance publique dispose de deux puissants leviers pour maîtriser la répartition du peuplement. Reste pourtant en tout cela un grand oublié : la durabilité de notre société, le bonheur des générations futures. Comment échapper à cette autre fatalité qui veut que le sort d’un Terrien en l’an 2300 pèse autant à nos yeux que celui de ce moucheron que nous venons d’écraser sur notre écran ? Comment bâtir une écologie vraiment durable alors que tout s’emballe autour de nous. La vie est combustion. Finira-t-elle en cendres ? Saurons-nous un jour réguler nos progrès ? Ceci est une autre histoire…
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Loeiz Laurent 24.6.14
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Version du 26 juin 2014 à 10:50

Sommaire

Les hommes et leurs espaces (1994)

Auteurs : Loeiz Laurent & Guy Baudelle



La démographie bretonne à l'aube du 21ème siècle(2014)

Auteur : Loeiz Laurent

Comme tout animal qui se respecte, les hommes semblent libres de leurs déplacements. Leur accumulation sur certains sites obéit néanmoins à des lois rigoureuses. L’abondance des ressources offertes par la nature n’est pas seule en cause. Les innovations techniques, le mode de gouvernance des États, les lois votées les plus diverses peuvent avoir un impact majeur. Après un recul sur les siècles passés, nous passerons aux années les plus récentes, posant la question de la diversité des stratégies de développement et des moyens de maîtriser la répartition du peuplement.


Deux siècles d’une évolution contrastée

Par lettres patentes données à Paris le 4 mars 1790, Louis XVI ordonnait la division de la France en 83 départements, dont cinq en Bretagne, tous de même superficie au sein de la province. Les Côtes-du-Nord étaient alors le département le plus peuplé, la Loire-inférieure le moins peuplé. Resté à peu près figé depuis cette date, le nombre des communes témoigne de cette hiérarchie des populations. Mais les temps ont changé ; l’ordre s’est inversé ; en 1994, les Côtes-d’Armor comptaient deux fois moins d’habitants que la Loire-Atlantique et l’écart n’a fait que croître depuis.

Deux faits sont à l’origine de ce grand basculement. Au nord, la fin des activités textiles. Le blocus continental, la disparition de la marine à voile, la perte du marché américain, la concurrence du tissage industriel concentré près des bassins miniers ont eu raison de nos 100.000 métiers à tisser. Au sud, née d’une découverte nantaise, la conserverie a essaimé sur la côte, entraînant l’essor de la pêche et de la culture des légumes.

Alors que la construction navale démontrait la qualité de la main-d’œuvre bretonne, le développement industriel breton a longtemps buté sur le prix de l’énergie. La Bretagne aurait pu disposer, grâce au charbon gallois, de l’énergie la moins chère de France, mais les droits de douane dissuasifs imposés par la Nation pour la défense de ses sources d’énergie en ont décidé autrement. La Bretagne, observait le Nobel d’économie Maurice Allais, a porté trop seule le poids d’une politique d’intérêt national. Un traitement plus équitable lui aurait permis de s’industrialiser plus tôt, rendant possible en juin 40 la constitution d’un « réduit breton ». Mais on ne refait pas l’histoire…

Le mieux est venu après la guerre de l’électricité. Son transport étant onéreux, son prix avait longtemps favorisé la proximité des grands barrages. Mais tout a changé avec l’arrivée du nucléaire. Le prix du courant devenait a priori uniforme. L’industrie pouvait désormais s’implanter n’importe où ; l’électricité suivrait. Le nucléaire s’installe à Brennilis, l’automobile à Rennes, l’électronique à Lannion.

L’électricité à un tarif abordable ne fut pas le seul beurre mis dans les épinards bretons. L’argent abondait. Ce furent d’abord les soldes des nombreux engagés en Indochine, leurs tombes entretenues par l’État restant dans le midi de la France. Ce fut aussi la prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, entraînant la nécessaire prise en charge des enseignants du privé en 1959 (loi Debré). Les Bretons cessèrent de payer deux fois pour la formation de leurs enfants. Celle-ci était souvent pour les agriculteurs le premier poste de dépense. Ils purent désormais investir dans leurs exploitations.

La diminution de l’exode eut également des conséquences heureuses pour l’économie bretonne. La moitié des terres agricoles étant en faire valoir direct, ceux qui en héritaient devaient payer des soultes à leurs frères et sœurs. Compte tenu de la dimension des familles et des taux de départ, c’est près du sixième de la valeur des terres que chaque génération devait racheter à des personnes ayant quitté la région. Cela représentait des sommes considérables. Or les départs nets de jeunes autour de 20 ans ont beaucoup perdu de leur importance entre 1954 et 1982 dans les quatre départements bretons. Ils touchèrent 30, 20, 10, 8 et 12% des jeunes Bretons entre les recensements de 1954, 1962, 1968, 1975, 1982 et 1990. De plus, en nombre croissant, les exilés revenaient en Bretagne avec de jeunes enfants au moment de fonder un foyer. Le patrimoine breton restait au pays.

Peu après la loi Debré, la régionalisation du 4ième Plan 1962-1965 engagée a posteriori pour satisfaire la demande bretonne d’une loi programme a également rectifié bien des inégalités. Un même effort d’équité a marqué le Plan routier breton. La région avant 1968 pouvait s’estimer heureuse de recevoir 2,5% des crédits routiers nationaux de rase campagne pour 5% de la population. Avec son plan routier, la Bretagne passera pendant quelques années à 6 ou 7% des crédits nationaux, ses quatre voies recevant malgré tout une sous-couche de moins que dans le reste du territoire.

Longtemps plus densément peuplée que la moyenne nationale, la Bretagne est moins coûteuse à aménager. Son urbanisation équilibrée est source d’économie. Petites villes, petites entreprises, petits ports. Elle pourrait avoir aussi de petits impôts…


L’heure des métropoles

Le graphique ci-dessous montre la part des départements bretons dans la population française métropolitaine entre 1962 et 2013. Dopés par les métropoles nantaise et rennaise, bénéficiant plus facilement du desserrement de la région parisienne, les départements de Loire-Atlantique et Ille-et-Vilaine décollent. Les autres départements bretons reculent par rapport à l’ensemble de la France métropolitaine, un léger mieux se faisant sentir en fin de période pour le Morbihan et à un moindre titre les Côtes-d’Armor.

On notera le coup de frein enregistré dans les cinq départements entre 1982 et 1990. Avec l’abandon des indicateurs de situation et des clés de répartition, l’effort passé d’équité territoriale déserte le 8ième Plan (1981-1985. Critiqué à Paris pour son projet de remplacer par quinze pays les cinq départements bretons, le Célib se voit marginaliser par Ouest-Atlantique. En 1978, il a disparu. De nouvelles inquiétudes apparaissent, ciblant les banlieues. Minimal entre 1975 et 1982, l’exode des jeunes Bretons reprend de l’ampleur par la suite comme indiqué plus haut.

Démographie-tableau1.jpg

Établi à partir des populations 2006 et 2013 estimée, le tableau suivant distingue solde naturel et migrations. La plus forte croissance de l’est breton semble due à l’excédent des naissances sur les décès autant qu’aux migrations. Il faut voir là les effets d’une forte fécondité, certes, mais aussi d’un apport de jeunes ménages, contrairement à l’ouest breton. Le fort taux d’immigration observé dans les Côtes-d’Armor et le Morbihan tient en effet surtout à l’abondance des retraités, conséquence d’un important exode passé – on revient au pays – et d’un littoral attractif.

Démographie-tableau2.jpg

La Bretagne ne doit pas devenir une vaste maison de retraite dénoncent certains. Elle est en effet déjà particulièrement prisée des retraités. « Un petit jardinet, un médecin à proximité, des chemins pédestres, une prise en charge par les pompes funèbres moins traumatisante pour le conjoint survivant qu’à Paris » m’expliquait un artisan de Belleville fuyant la grande cité.

Nous pouvons développer ce courant. N’est-il pas étonnant de voir combien l’on dépense à tous les niveaux pour faire venir des touristes quelques semaines par an quand les retraités, pourtant à demeure, ne sont l’objet d’aucun intérêt ? Il faut seulement veiller à ce que cela ne déstabilise pas les finances départementales. En cas d’admission dans une maison de retraite, certains départements du midi de la France demandent aux départements d’origine de s’engager à financer les séjours en cas de grande dépendance…

Pas de priorité cependant pour les retraités. Cette magnifique propriété dominant la vallée ou bordant la forêt, y accueillerons-nous une colonie de vacances, une maison de retraite, un établissement de thalassothérapie, un centre de recherche de niveau international ? Il faudra choisir. Les personnes nées à l’étranger, étrangères ou naturalisées, sont également de plus en plus nombreuses à venir grossir la population bretonne ; une politique consciente d’étalement des minorités visibles sur le territoire fait sentir là ses effets.

Démographie-tableau3.jpg


Des stratégies diversifiées

« Nantes et Rennes concentrent trop la croissance » déplore-t-on souvent. Mais le développement de la Bretagne n’est pas une couverture à tirer vers soi. Plusieurs partitions peuvent être jouées simultanément. Indépendamment de ses atouts, qualité de la population, appareil éducatif, diversité des monuments et des paysages, ressources naturelles terrestres et maritimes, la Bretagne a trois atouts en main, l’un la tourne vers l’est, l’autre vers l’ouest, le dernier vers le nord et le sud. A chacun de choisir ses atouts.

L’accueil des activités parisiennes souhaitant respirer plus librement constitue notre premier atout. Les 90 minutes qui vont bientôt séparer Rennes et Nantes de la gare Montparnasse vont lui donner un fameux coup de fouet. Nous devons tirer de cet atout les fruits les meilleurs.

Le Célib avait jadis imaginé une ville nouvelle sur la Rance au nord de Dinan. Si le tracé de la voie ferroviaire Rennes-Dinan-Saint-Brieux initialement prévu sous le second Empire n’avait pas été refusé par crainte des attaques d’un éventuel viaduc par les Anglais, les bords de la Rance auraient pu devenir un pôle majeur d’attraction pour des activités trouvant à moins de deux heures de Paris un extraordinaire cadre de vie. Les bords de la Vilaine pourraient jouer ce même atout.

Le second atout de la Bretagne, plus sensible à l’ouest de la péninsule, concerne sa position au cœur des grandes routes maritimes. La vocation militaire de Brest a pu freiner l’expansion de son port, aujourd'hui incapable d’accueillir les navires ayant franchi le canal de Panama recreusé. Faut-il se tourner vers un autre site ? L’affaire est importante. On ne dira jamais assez ce que notre agriculture, deux fois plus dense que la moyenne nationale, doit à nos ports. Des esprits avisés prévoyaient en 1970 la fin des volailles et du porc en Bretagne. L’aliment céréalier et les consommateurs étaient dans le bassin parisien. En imposant à L’Europe les importations de manioc et de soja libres de droits, l’Amérique en a décidé autrement. La proximité de la mer a permis à notre bétail de pâturer les terres du monde entier. Nous pouvons mieux faire naturellement. Avons-nous fait le plein des activités de sous-traitance susceptibles d’intéresser les industriels de l’est américain ?

Le troisième atout de la Bretagne est sa position au cœur de l’arc atlantique. Après le bassin parisien et le sillon rhodanien, cet axe est troisième pôle français de développement. Victime du tout Paris, il n’est irrigué ni par le cabotage, ni par le fer. Seule l’autoroute des estuaires a réussi à s’imposer. Un saut n’est-il pas possible dans le ferroviaire ? Parions qu’aujourd'hui, en choisissant convenablement l’heure de départ, des cyclistes joignant en se relayant les départements littoraux de Dunkerque à Bayonne feraient mieux que la SNCF. Ne pourrait-on penser à un aérotrain ? Bras droit de Pléven à la région, Louis Ergan a pu déplorer jadis que le terre-plein central de nos quatre voies n’ait pas été conçu à leur intention. Un aéroport permettant pour partie à l’arc atlantique d’échapper au passage obligé par Roissy suppose un tel lien.


Maîtriser la répartition du peuplement

On aurait tort de voir dans les règles du marché les causes d’une concentration de la population jugée excessive. S’il y a des reproches à faire, c’est bien plutôt aux États, qui ont en main des cartes maîtresses inutilisées, et à la nature même des choses, comme nous allons le voir immédiatement.

La répartition de la population n’est pas de ces phénomènes spontanément régulés, tel le niveau d’un liquide dans des vases communicants. Tout déséquilibre tend à s’y annuler de lui-même. Cela vaut pour les quantités à produire et les prix. L’intervention étatique en ces domaines, comme l’a prouvé l’aventure communiste, fait alors pis que mieux. La planification centrale des processus de production n’a pu y engendrer que pénuries incompréhensibles et immenses gaspillages.

D’autres phénomènes par contre ne sont pas régulés. Chez eux s’appliquerait plutôt la loi des bulles de savon communicantes. Si deux bulles sont mises en communication, la plus petite, même infinitésimalement, se vide dans la plus grande. Tout déséquilibre ainsi va croissant. Or une telle loi joue en matière de répartition des richesses entre les individus comme en matière de répartition de la population sur un territoire. « A celui qui a l’on donnera ; à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a » constatait la sagesse antique.

Que la croissance démographique d’une commune ou d’un bassin d’emploi soit un processus non régulé est une évidence. Les ménages voulant s’éloigner des centres urbains choisissent de préférence des communes peuplées de 500 à 5000 habitants, taille optimale à leurs yeux. Ce faisant, ils détruisent cet optimum, ne cessant pas brutalement d’accourir si la commune dépasse les 5000 habitants. Semblablement, ce sont les bassins d’emploi ou pays animés par des villes de 100.000 ou 200.000 habitants qui connaissent les taux de croissance les plus élevés. Là aussi cela détruira l’optimum et les villes, qu’il faut sans cesse rebâtir sur place, perdent ainsi progressivement leur attrait.

Il nous faut cesser de dire, devant de tels processus, « C’est le sens de l’histoire, adorons-le ». L’État et les autres collectivités se doivent ici d’intervenir. L’on dispose à cet effet de deux leviers majeurs : le découpage territorial et la répartition des finances publiques.

Côté découpage, il n’est que de regarder en France les effets du découpage départemental décidé en 1789 pour s’en persuader. Depuis 1800, date de l’érection des arrondissements, ceux centrés sur une préfecture ont plus que doublé leur population. Ceux centrés sur une sous-préfecture ont vu la leur divisée par deux. A population égale, les villes chefs-lieux de département attirent chaque année presque deux fois plus de population que les autres villes. Qui veut maîtriser la répartition du peuplement sur un territoire ne peut se désintéresser des questions de découpage. Le Célib, prônant en 1971 le remplacement des cinq départements bretons par quinze pays, ne raisonnait pas autrement. Pour équilibrer l’attraction dominante des villes préfectures en leur département, il n’a pas hésité à proposer d’associer entre elles plusieurs sous-préfectures ou anciennes sous-préfectures. Ce fut le cas en Trégor avec Guingamp, Lannion et Paimpol, dans les Pays de Rance avec Dinan, Dinard et Saint-Malo, ou encore en Bretagne centrale avec Pontivy, Loudéac et Ploërmel. Pour limiter la croissance de certaines villes, certains ont pu préconiser alors de glisser entre elles des pays encore en pointillé, Châteaulin entre Brest et Quimper, Auray-Quiberon entre Vannes et Lorient. Si « Le découpage d’un grand Etat est à lui seul une constitution », comme l’affirmait Thouret, rapporteur du projet, en 1789, le découpage d’un grand Etat est aussi à lui seul un aménagement du territoire. Cela vaut aussi pour le découpage communal, levier qui devrait rester en totalité dans les mains des pays.

Côté finances, les moyens à la disposition des décideurs sont tout aussi puissants. L’on peut considérer à cet effet la façon dont la France et l’Italie ont pu prendre en compte les bilans migratoires dans leurs dotations aux régions. L’Italie, dans une optique de rééquilibrage, a choisi de donner plus par habitant aux régions souffrant d’un bilan migratoire négatif. La France, dans une optique de réponse aux besoins prévisibles d’équipement, a préféré donner plus aux régions bénéficiant d’un bilan migratoire positif. On ne peut imaginer démarches plus opposées. Un État ne peut être neutre.

Mariant découpages et moyens financiers, les modes de gouvernance s’avèrent fondamentaux. En tout territoire doté d’un budget, la population a tendance à s’agglomérer en un point. Communes, départements ou États suivent cette loi selon l’importance des budgets gérés aux différents niveaux. Les pays centralisés comme la France ou la Grèce vont voir la population de leur capitale exploser. Les pays fédéraux comme l’Allemagne, la Suisse, les Indes ou les États-Unis auront au contraire une population mieux répartie.

Précisons toutefois que l’explosion des capitales a une fin. Le bilan migratoire de l’Ile-de-France est aujourd'hui négatif. Il y a bien régulation de la population de la métropole, mais au point de saturation. La ville cessera de croître non pas quand elle aura une taille optimale – elle attire au contraire un maximum de population – mais quand elle aura une taille maximale. Ceux qui la fuient débordent alors ceux qui sont plus ou moins contraints de s’en rapprocher. Malheureusement, et pour prévenir des mouvements sociaux, les États s’emploient à grands frais à repousser ce terme. C’est tout l’enjeu de Grand Paris et de la C8 créée en 2008, conférence des huit régions du bassin parisien chargée de mobiliser un maximum de financements nationaux et européens pour le Grand Paris.

Découpages et institutions politiques et financières, la puissance publique dispose de deux puissants leviers pour maîtriser la répartition du peuplement. Reste pourtant en tout cela un grand oublié : la durabilité de notre société, le bonheur des générations futures. Comment échapper à cette autre fatalité qui veut que le sort d’un Terrien en l’an 2300 pèse autant à nos yeux que celui de ce moucheron que nous venons d’écraser sur notre écran ? Comment bâtir une écologie vraiment durable alors que tout s’emballe autour de nous. La vie est combustion. Finira-t-elle en cendres ? Saurons-nous un jour réguler nos progrès ? Ceci est une autre histoire… Loeiz Laurent 24.6.14



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