Géographie de la Bretagne/Les structures administratives
Sommaire |
Les structures administratives (1994)
Auteur : Loeiz Laurent
Les structures administratives infrarégionales (2014)
Auteur : Loeiz Laurent
- 2.1 Des pays centrés sur les villes aux pays ruraux
- 2.2 Le recul de la démocratie locale
- 2.3 Expérimenter
1994 fut pour les « pays » l’année de toutes les espérances. Commencé en 1993, un grand débat national sur l’aménagement du territoire s’achevait. Il devait déboucher le 4 février 1995 sur le vote d’une loi consacrant l’idée de pays.
Deux articles concernent l’arrondissement : « Il est tenu compte de l’existence des pays pour l’organisation des services de l’État et la délimitation des arrondissements » (article 24) ; « Le délégué dans l’arrondissement du représentant de l’État dans le département exerce, par délégation, tout ou partie des attributions dévolues à ce dernier. A ce titre, il anime et coordonne l'action des services de l’État dans l'arrondissement » (article 25). Une rénovation complète de l’animation de nos territoires était en puissance dans ces lignes approuvées par tous les grands partis. En mai une circulaire signée du ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, invitait à préfigurer localement les pays du 21ème siècle.
Jacques Faucheux, maire socialiste de Fougères, et Marie-Thérèse Boisseau, député UDF, posaient la candidature du pays de Fougères pour une expérience de déconcentration budgétaire par ailleurs prônée par le délégué à l’aménagement du territoire : « Que les sous-préfets reçoivent une enveloppe globale de tous les crédits d’État – sauf les fonctions régaliennes – et mettent les élus en situation d'arbitrer et non pas de quémander » écrivait en 1995 Jean-Louis Guigou dans Une ambition pour le territoire. Il se trouve que c’était page sang neuf. Tous les espoirs étaient permis.
Malheureusement, interceptée avant d’arriver à la Datar, la demande de Fougères restera sans réponse. Pasqua n’est plus au gouvernement. Les textes d’application à sortir dans les 18 mois ne viennent pas. En 1996 et 1997 le Commissariat à la réforme de l’État ignore l’arrondissement dans ses prescriptions. Les nouvelles lois de décentralisation également. Pour clore le tout, la loi de réforme des collectivités territoriales votée le 16 décembre 2010 abroge en son article 51 les dispositions relatives aux pays. Aujourd'hui, malgré le changement de majorité, nous en sommes encore là. Départementaliste à tout va, le Sénat parle de remplacer les pays par des pôles ruraux d’aménagement et de coopération commandant des territoires plus proches des cantons que des arrondissements. Plus aucun élu majeur, à droite comme à gauche, ne défend l’idée de fonder notre administration territoriale sur une association des villes et des campagnes. Dans son blog, le député centriste maire de Neuilly Jean-Christophe Fromantin parait bien isolé sur ce thème. Que s’est-il passé ? Un recul géographique et politique, une paralysie progressive dont on ne se sortira pas sans expérimentations locales.
Des pays centrés sur les villes aux pays ruraux
Partisans des départements et des cantons, les légistes dominant les ministères des Finances et de l’Intérieur ont peu à peu réussi à marginaliser les économistes et géographes ayant longtemps animé la Datar et le Plan et partisans des régions et des arrondissements. Les premiers ont tout fait pour émietter pays et arrondissements.
La France des légistes, c’est un État centralisé composant une région européenne unique. C’est une cinquantaine de gros départements substituables aux régions actuelles et quelque 2 000 communautés urbaines ou rurales venant remplacer les communes. Fusionner les départements alsaciens ou savoyards irait dans ce sens. De gros départements comme seuls intermédiaires entre la tête nationale et la base intercommunale substituée aux communes, tel est le credo.
La France des économistes et des géographes, c’est une fédération fraternelle de grandes régions animées par de véritables métropoles, quelque 300 agglomérations animant des bassins d’habitat et d’emploi à la dimension des arrondissements et des communes vivantes coopérant fraternellement entre voisines de multiples façons.
Habiles à rédiger les textes, nos légistes s’emploient à vider de leur sens les mots de leurs adversaires. Il en va ainsi du mot métropole. Loin d’être chargées d’animer de vastes pans du territoire, les métropoles vont se voir octroyer des compétences essentiellement locales jusqu’ici abusivement centralisées à la région ou au département. Leur tutelle sur les communes sera également renforcée. De même pour le mot pays. Il devait exprimer « les solidarités réciproques entre la ville et l’espace rural » disait en 1994 le projet de loi Pasqua. Un « le cas échéant » sera glissé en 1995 dans le texte voté. Tout faire pour ruraliser les pays, les rapprocher des cantons, les éloigner des arrondissements. Ces derniers, pris comme cibles, sont par ailleurs dépouillés de leurs hôpitaux, maternités, tribunaux d’instance, chambres de commerce ou sous-préfets.
Trois cartes de Bretagne témoignent du progressif émiettement des pays depuis 1964. Toutes trois ont pour fond les aires urbaines définies en 2010 par l’Insee à partir des données du recensement 2008. Les « grandes aires urbaines », au nombre de 17, y figurent en gris foncé. Rappelons leur définition : « ensembles de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitués par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci ». Le gris pâle regroupe les aires « petites » ou « moyennes » centrées sur des pôles offrant plus de 1 500 ou 5 000 emplois et un certain nombre de communes dites « multipolarisées », 40% au moins de leurs actifs ayant un emploi travaillant dans une aire urbaine plus ou moins importante. Sont en blanc les communes gardant la plupart de leurs actifs, communes éloignées des villes ou riches en emplois comme Lanvéoc dans la presqu’ile de Crozon, siège de l’École navale et d’une base aéronautique.
14 ZEDE (Zones d’Études Démographiques et d’Emploi) dessinées à l’initiative du Commissariat général au Plan découpent la Bretagne en 1964. Arguant que l’on parlait couramment des pays de Rennes, de Vannes ou de Lorient, le terme de « pays » a été proposé par le service Études de la direction régionale de l’Insee à Rennes pour les désigner. Il fut écarté au motif que ce mot pouvait être utilisé par les géographes dans un sens parfois différent. Il fallait également se garder d’effaroucher le ministère de l’intérieur, craignant qu’il ne s’agisse de mettre en place une nouvelle définition des départements. Cinquante ans ont passé. On ne peut qu’admirer la façon dont ces territoires conçus pour planifier la répartition des équipements collectifs s’accordent avec les grandes aires urbaines reflétant aujourd'hui la vie régionale. Il en va de même partout ailleurs en France.
Le Livre blanc du Célib, Bretagne : une ambition nouvelle, est publié en 1971 après deux ans d’une intense mobilisation régionale. On y propose ni plus ni moins de remplacer par quinze pays les cinq départements bretons. Proche du découpage précédent, ce nouveau découpage préfigure lui aussi le dessin de nos aires urbaines.
Fallait-il promouvoir les pays par des lois venues d’en haut ? Telle fut l’idée des lois Pasqua en 1995 et Voynet en 1999. Mais c’était agiter le chiffon rouge face à une administration centrale experte dans l’art de vider les textes de toute substance et ne voulant du pays à aucun prix. Les pays n’expriment plus que « le cas échéant » les solidarités réciproques entre la ville et l’espace rural. Rejeté vers le monde rural, on les oppose aux agglomérations. Leur dessin n’est pas confié aux régions, pourtant compétentes en matière d’aménagement du territoire, mais aux commissions départementales de coopération intercommunales créées en 1992 pour un tout autre objet. Des groupes de deux ou trois cantons ruraux vont obtenir ainsi un peu partout en France statut de « pays ». En Bretagne, mordant sur les aires urbaines de Nantes et de Rennes, les pays de Retz, de Machecoul et Lognes, du Vignoble nantais, de Pontchâteau, de Nozay, de Brocéliande ou des Vallons de Vilaine ne sauraient avoir l’ambition de remplacer un jour les départements.
Ajoutons aux trois cartes de Bretagne deux autres cartes. Comme les aires urbaines, mais cette fois-ci couvrant tout l’espace, quelque 420 bassins d’emploi dessinés à Rennes en 1990 associent les villes grandes, moyennes et parfois petites à leur environnement rural. Plus proches des arrondissements que des départements comme le montre la carte ci-dessus, ils peuvent être avantageusement rapprochés des pays.
En Bretagne comme dans le reste de la France, les bassins d’emploi centrés sur les chefs-lieux d’arrondissement couvrent la quasi-totalité du territoire. A leurs franges, protégées par la distance, de petites villes ayant parfois perdu en 1926 leur statut de chef-lieu d’arrondissement parviennent à garder une certaine autonomie. En 2010, vingt ans après le tracé des bassins d’emploi, les aires urbaines s’inscrivent toujours dans leurs contours.
Le recul de la démocratie locale
S’il y a eu recul dans la conception des pays, il y a eu également, sous diverses influences, recul de la démocratie locale. Le transfert aux présidents des départements et régions de pouvoirs exécutifs jusque là exercés par des préfets et la fin de la tutelle de ces derniers sur les communes au début des années 80 sont souvent présentés comme des avancées de la démocratie. En fait une tutelle humaine et souvent compréhensive a été troquée contre une avalanche de textes normatifs rédigés à Paris. On se plaint du trop grand nombre de nos communes, mais on estime à 400 000 le nombre de normes venues les encadrer. Les élus sont devenus de quasi fonctionnaires au comportement dicté en toute circonstance. Les nouvelles lois électorales accroissant le pouvoir des grands partis, ceux-ci sont devenus des agences de placement, le choix des élus échappant de plus en plus aux électeurs. Alors qu’en 2012 PS et UMP réunis n’ont obtenu au premier tour des Présidentielles que 23 % des voix des électeurs inscrits, ces partis voient croître leur poids dans la désignation des futurs élus et la population baisser le sien.
Aux élections municipales de 2014, seront touchées les communes ayant de 1 000 à 3 500 habitants, soit quelque 650 communes bretonnes rassemblant 1 200 000 habitants. Longtemps le citoyen y fut roi ; les suffrages étaient comptabilisés individuellement ; le panachage était autorisé ; l’on pouvait même inscrire des non candidats ; candidatures isolées et listes incomplètes étaient autorisées en dessous de 2 500 habitants. Rien de tel à présent. Les listes doivent être entières désormais et l’électeur ne pourra plus panacher. L’ordre dans les listes s’imposant à l’électeur, les candidats sont mis en position éligible ou non avant l’élection. Bien des communes en réalité n’auront qu’une liste. Pourquoi voter ? L’élection directe des conseillers communautaires à l’occasion des élections municipales n’aura rien non plus d’une réelle avancée démocratique ; ces conseillers auront été « fléchés » sur les listes avant le scrutin.
Aux élections départementales, des binômes hétérosexuels seront élus ou battus en bloc dans de nouveaux cantons. Sans proportionnalité aucune, 51% des voix leur apporteront deux sièges au sein du nouveau conseil départemental, reprise d’une appellation abandonnée peu après le projet de constitution du 30 janvier 1944. Aux élections régionales, le scrutin de liste pratiqué dans le cadre trop vaste des départements renforce ces derniers, sépare l’élu du citoyen et prédétermine la composition des assemblées, les électeurs étant censés, comme dans les communes de plus de mille habitants, préférer les têtes de liste. Proposée en décembre 2010 par l’UMP, l’interdiction de cumuler avec un mandat exécutif d’une commune ou communauté de plus de 30.000 habitants reste à l’état de menace. Une telle interdiction aurait privé une institution chargée de discuter des équipements stratégiques et des perspectives à long terme de la région des principaux élus du terrain. Présents de 1964 à 1986 dans les assemblées régionales, jusqu’en 1972 avec les représentants de la société civile, ces élus lancèrent en Bretagne en 1969 l’idée de pays. Ne pourrait-on permettre aux citoyens d’élire, pays par pays, leurs représentants à la région ? C’était en 2008 l’idée du comité Balladur.
Expérimenter
Réformes après réformes venues d’en haut, nos gouvernements n’ont réussi qu’à nous ankyloser et paralyser davantage, renforçant chaque fois les couches de notre millefeuille et marginalisant les pays. Il faut opérer autrement.
Mains dans les poches ou poing levé, les Français attendent désormais tout d’un État supposé omniscient et tout puissant. Une attente inquiète, justifiée par une crise financière, écologique, européenne et identitaire laissant espérer un nouveau paradigme. Ils auraient tort toutefois d’attendre celui-ci d’une énième alternance au sommet de l’État. La succession des réformes passées n’a rien arrangé bien au contraire. Qu’il s’agisse d’école, de santé, de fiscalité, de structures territoriales, chaque réforme empile, complique, rigidifie, nous ôtant souplesse et réactivité. Elles font abstraction de la diversité des territoires, une commune rurale bretonne pouvant valoir un canton champenois ou pyrénéen. Elles refusent toute tutelle d’un niveau sur un autre, au grand dam de l’adaptation locale des lois. Elles se méfient de la province et aujourd'hui manquent de sous. On ne peut réformer par en haut sans se heurter aux vetos des hauts fonctionnaires, des associations d’élus et des syndicats. Un nouveau paradigme, s’il doit être, ne peut venir que d’en bas. Il implique une certaine générosité et un certain consensus local. Plus capable de résister aux oukases de l’administration et à la foule des groupes de pression nationaux, l’opposition est probablement mieux placée que la majorité au pouvoir pour explorer d’autres voies, tester ici ou là une nouvelle société. La gauche sous Sarkozy n’a pas su en profiter.
TIROIR : Structures administratives
Auteur : Loeiz Laurent
Documents consultables dans ce tiroir :
- 3.1 La balle est chez les élus locaux
- 3.2 Pays : quelques citations donnant à rêver
- 3.3 Les schémas de cohérence territoriale (Scot) au 1er janvier 2014
- 3.4 L’intercommunalité au 1er janvier 2014
- 3.5 Diversité des communes françaises
La balle est chez les élus locaux
La France est malade. L’inquiétude financière et environnementale autant qu’identitaire s’accompagne d’une perte de confiance croissante envers notre représentation nationale et de records d’abstention aux élections. Les élus nationaux sont perçus comme les porte-paroles d’une administration centrale elle aussi déconsidérée. Elle a pendant des lustres rédigé les projets de loi, les faisant voter par la majorité du moment. Certains ont pu se prononcer à contrecœur, un œil sur le renouvellement de leur investiture aux prochaines élections... Bien qu’assez peu démocratique, une telle pratique aurait pu donner de bons résultats si l’administration était imaginative, lucide, avisée ; mais avec l’effacement du Plan et de la Datar, elle a perdu la moitié de son cerveau. A cela s’ajoute l’attitude régressive de multiples groupes de pression. Aucune vraie réforme ne peut naître d’en haut. La balle est chez les élus locaux. A eux d’inventer de nouvelles formes de vivre ensemble. Comme au Moyen Age avec la réforme communale, elles s’étendront ensuite, en cas de réussite, à l’ensemble du pays.
Une administration hémiplégique
L’administration française fut longtemps dotée de deux hémisphères cérébraux. Aux administrations traditionnelles, Finances et Intérieur, s’opposaient des administrations de mission, le Plan et la Datar. Peuplés de juristes, les ministères de l’Intérieur et des Finances formaient notre cerveau gauche, rigide, centralisateur, expert en rédaction des textes. Peuplés d’économistes et de géographes, longtemps dirigés par de quasi ministres tels Pierre Massé ou Olivier Guichard, le Plan et la Datar formaient notre cerveau droit, prospectif, imaginatif, ruant dans les brancards. « Vous êtes là pour monter à l’assaut des administrations traditionnelles » déclarait Jérôme Monod à ses cadres en prenant en octobre 1968 la direction de la Datar. Aujourd'hui la France n’a plus de cerveau droit. Les Français ne sont plus invités à imaginer leur avenir à l’occasion des différents plans. Ils sont seulement censés avoir approuvé en bloc les multiples mesures lancées en l’air à l’occasion des élections présidentielles.
Juristes et économistes ou géographes se sont longtemps affrontées dans les bureaux parisiens, tantôt écrasant l’adversaire, tantôt composant. Ainsi les 21 régions créées en 1956 sont nées d’un compromis entre un courant économique qui en voulait dix, centrées sur des métropoles équilibrant Paris, et un courant administratif qui en voulait 47, gros départements sauvegardant la suprématie de la capitale (projet Debré 1945). Ainsi encore, en 1964, lorsque le Plan aidé des administrations régionales dessine en France 202 bassins d’équipement collectifs destinés à rationaliser la répartition géographique des dépenses de l’État, il faut promettre au ministère de l’Intérieur qu’il ne s’agit pas de futurs départements et les baptiser pudiquement Zones d’études démographiques et d’emploi. Ainsi encore, en 1995, lors de la préparation de la loi Pasqua, quand pour la Datar « le pays exprime les solidarités réciproques entre la ville et l’espace rural », nos légistes vont glisser discrètement un « le cas échéant » dans le texte, ainsi vidé de sa substance. Les prises de position sur les pays de Jean-Louis Guigou indisposent le ministère de l’Intérieur. Délégué à l’aménagement du territoire, il se voit refuser le droit de s’exprimer sur sa gouvernance régionale et locale. Ainsi encore, en 1999, Dominique Voynet ayant dû réviser la loi Pasqua, ce même ministère la force à ôter de son texte toute allusion à l’arrondissement. « Si, dans une étape ultérieure, on choisissait de reconnaître encore davantage les pays, cela devrait faire l’objet d’un nouveau débat devant le Parlement » déclare, amère, la ministre. Bientôt le cerveau gauche en aura fini avec le cerveau droit. Le Plan disparaît, devenu Commissariat général à la stratégie et à la prospective. La Datar de son côté devient Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires. Plus personne ne connaît les noms des responsables de ses organismes. En 2014, la Datar ayant retrouvé son nom risque de le perdre à nouveau. On parle d’un Commissariat général à l’égalité des territoires. Égalité bien sûr, et non diversité…
Les légistes avancent masqués. « Exprimer clairement où tout cela menait aurait été le meilleur moyen de tout bloquer » affirmait en 1998 dans La France redécoupée Dominique Perben à propos de la loi de 1992 sur l’intercommunalité. Sa généralisation aujourd'hui acquise permettra d’éliminer les communes. Mais il ne faut pas le dire. Ancien ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de la Décentralisation, en charge de la réforme au sein de l’UMP, Dominique Perben savait ce dont il parlait.
Adroitement, les légistes s’emploient à vider de leur sens au lieu de les contrer les mots de leurs adversaires : libre administration des collectivités locales, décentralisation, régionalisation, démocratie locale, participation des citoyens, droit d’expérimentation des collectivités territoriales, autonomie fiscale ou budgétaire ont reçu systématiquement le même traitement. Chaban-Delmas parle-t-il de signer des contrats de plan avec les villes, une note du directeur du budget au ministère des Finances évoque la « lubie du premier ministre ». Le mot sera « repris », ajoute-t-il, mais « vidé de son contenu ». Il en va de même aujourd'hui avec le mot métropole. Celles-ci ne sauraient rompre l’hégémonie parisienne, animer de vastes régions et hériter de responsabilités aujourd'hui exercées dans les ministères. On leur offrira des compétences d’intérêt local jusque là abusivement exercées par les régions et les départements et l’on renforcera leur tutelle sur les communes regroupées. Cela les occupera et elles laisseront Paris tranquille pendant ce temps là.
Le mot pays fut naturellement victime du même traitement. Tout fut fait pour éloigner les pays des arrondissements et les rapprocher du canton. En 1995, la circulaire sur les pays sortira avec deux mois de retard et sans la signature du secrétaire d’État aux collectivités locales car il aurait fallu, pour la Direction générale des collectivités locales, y noter qu’un pays pouvait recouvrir « un canton ». Bien que résultant d’un compromis, l’expression « plusieurs cantons » finalement retenue ne suffisait pas… Cette même année 1995, une mission russe vint interroger un laboratoire universitaire rennais sur notre administration territoriale. Ils avaient tout à reconstruire. Le Plan n’était chez eux qu’un corset. L’administration était aux mains d’un parti unique. Le cerveau gauche avait réduit à néant le cerveau droit. Ils tombèrent de haut en nous écoutant : « Ce que vous nous décrivez, déclarèrent-ils abasourdis, c’est exactement le système que nous souhaitons abandonner. »
En France une idéologie unique domine les ministères des Finances et de l’Intérieur. Les préfets et sous-préfets y échappent, mais on les fait bouger pour éviter qu’ils s’enracinent. Au Moyen-âge les prévôts du roi n’avaient pas le droit d’épouser des filles du pays qu’ils devaient administrer. Et s’il n’y avait que la haute administration pour corseter la nation, mais de multiples groupes syndicaux ou associations d’élus départementaux et locaux œuvrent pour que rien ne change. Il nous faudra bien un jour essayer autre chose, et cela ne peut venir de lois venues d’en haut. Il faut accepter que pour un temps la loi ne soit pas la même pour tous. Il faut expérimenter. La balle est dans le camp des élus locaux…
Il faut expérimenter
« Sur terre l’homme est entré sans bruit » nous dit Teilhard de Chardin. Il en va de même des vraies révolutions. Quelques gamins détournent en jouant le chant de leurs parents pour coder leurs pensées et voilà le langage. Un chasseur-cueilleur se saisit d’un bâton pour enfouir une graine et voilà l’agriculture. Un jeune homme prêche en Galilée le Royaume des cieux et voilà le Christianisme. Des artisans et des commerçants s’agitent ici ou là aux cris de « Commune ! Commune ! » et voilà la démocratie locale et la fin du monde féodal.
Voici cinquante ans qu’en France, avec l’émergence des pouvoirs régionaux et d’agglomération, apparaît nécessaire la simplification de notre millefeuille administratif. On ne peut se contenter de supprimer un échelon car tous sont mal dessinés. Il faut expérimenter autre chose.
Il faut pour cela un espace pertinent. Michel Rocard aux premiers Etats Généraux des Pays à Mâcon en juin 1982 voyait dans les pays « un champ privilégié d'expérimentation de nouvelles pratiques démocratiques de participation, un espace pour l'expression de nouvelles solidarités ». Associant les villes et les campagnes, l’habitat et l’emploi, les services et les lieux de loisir, espaces cohérents, véritables unités d’aménagement et de développement, les pays ont notre avenir en leurs mains. Tel était le projet du Célib en Bretagne en 1971 et telle était encore à Rennes le 4 novembre 2002 l’opinion des 1200 personnalités bretonnes rassemblées aux assises régionales des libertés locales. Aux questions posées sur la multiplicité des échelons, 30% d’entre elles évoquaient la disparition du département, aucune la région, 8% seulement le pays, des pays malheureusement émiettés en intercommunalités, des intercommunalités trop grosses pour les relations fraternelles et trop petites pour la cohérence territoriale.
Les pays sont bien le plus petit espace où les représentants d’une population peuvent de façon transparente, lisible et judicieuse répondre aux besoins d’une population. Culture, éducation, santé, logement, routes, transport, l’essentiel de la dépense publique peut être arbitré à ce niveau dans le respect éventuel de normes imposées par les niveaux supérieurs.
La fusion département-commune réalisée en 1975 à Paris fut une première expérience intéressante. Avec ses singulières primes départementales pour le personnel communal, elle n’a cependant pas résolu la question du pouvoir d’agglomération pour la capitale. On parle d’y fusionner les communautés d’agglomération existantes, voir les départements de la petite couronne.
Une fusion département-agglomération est en cours à Lyon. L’agglomération récupère des compétences départementales, ce qu’autorisait déjà une loi de 1992 expérimentée à Strasbourg, alors que cela aurait pu être l’inverse, le département faisant office d’agglomération.
Ces deux réalisations sont intéressantes, mais le souci d’organiser les métropoles ne doit pas faire oublier le reste de la nation. La fusion département-agglomération doit pouvoir être expérimentée sur d’humbles territoires. On évitera pour cela les préfectures sauf à en choisir une animant tout son département comme Belfort. La structure obtenue devra être supra-communale, à l’instar des actuels départements, et non intercommunale, à l’instar des communautés. Elle devra laisser une très large autonomie aux communes, fussent-elles refondues dans le cadre des schémas locaux de cohérence territoriale. L’expérience peut concerner un arrondissement animé par une ville petite ou moyenne ayant statut de sous-préfecture, telle Morlaix ou Châteaubriant. Elle peut aussi toucher un « pays » écartelé entre plusieurs départements tel le Poher avec Carhaix, Gourin et Rostrenen, le pays de Redon, le Centre Bretagne avec Pontivy, Loudéac et peut-être Ploërmel ou les pays de Rance avec Dinan, Dinard et Saint-Malo.
L’expérience peut apparaître de façon quelque peu subversive. Commissaire à la rénovation rurale en Bretagne de 1967 à 1974, Jacques Ferret voyait s’y engager le maire de la ville centre avec l’appui de ses collègues : « Il a sa légitimité républicaine, ses troupes, ses moyens d’impression et de pression, la grève de certaines élections. » Dramatisée à plaisir, une telle formule saura plaire aux Français, toujours heureux s’ils peuvent prendre le parti de David contre Goliath. Une graine d’espérance.
L’expérience peut également naître d’une invite présidentielle ou gouvernementale : « Cherche territoire disposé à expérimenter une totale déconcentration des choix budgétaires sur la base de 80% des crédits actuellement consacrés par la nation, le département et la région au service des populations ? » Il y aura des candidats.
Le changement sera profond. Ce pourra être au territoire expérimental de payer les journées de prison de ses délinquants ou les bourses d’enseignement supérieur de ses étudiants pour des établissements éventuellement éloignés. Ce sera aussi à lui de remplacer les radars incendiés. Bien des comportements seront modifiés… « Que les sous-préfets reçoivent une enveloppe globale de tous les crédits d’État – sauf les fonctions régaliennes – et mettent les élus en situation d'arbitrer et non pas de quémander » écrivait en 1995 Jean-Louis Guigou, délégué à l’aménagement du territoire, dans Une ambition pour le territoire. Il se trouve que c’était page sang neuf.
Libre administration, démocratie de proximité, lisibilité des institutions seront au rendez-vous. La démoralisation de nombreux Français tient pour une part à un besoin déçu d’incarnation de leurs idéaux. Ils ont pu croire en l’URSS, en Cuba, en l’Albanie, en la Yougoslavie, en la Chine ou au Chili. Nos jeunes djihadistes croient en la Syrie. Cela s’est dégonflé à chaque fois. Tous apprécieront une expérimentation plus proche, plus humble, plus consensuelle et moins dogmatique.
Un inspecteur des finances ayant statut de préfet devra assurer l’exécutif du nouveau territoire. Cela rassurera les administrations centrales invitées à de lourds abandons de souveraineté et limitera les risques de clientélisme.
Michel Crozier et Pierre Bourdieu ont insisté sur l’utilité de crises ponctuelles pour déclencher les réformes. L’autonomie vécue à l’échelle d’un pays ne sera pas seulement d’intérêt local ; elle fera rêver les Français. Ne comptons pas pour cela sur un hypothétique grand projet national. Offrons leur de vibrer, comme au théâtre, aux aventures d’une communauté d’irréductibles cherchant à vivre ensemble, en Bretagne ou ailleurs, dans un espace pertinent, plus libres, plus égaux, plus frères. Ce sera contagieux.
Pays : quelques citations donnant à rêver
« Il faut que les provinces, les villes puissent agir avec une certaine indépendance, véritables démocraties au milieu de la monarchie. » D'Argenson, Considérations sur le gouvernement de la France, p. 22-23
« Il n'est pas de réforme régionale qui ne soit accompagnée nécessairement d'une réorganisation communale, d'une réforme financière et d'une remise en cause du département. [...] Son effacement doit être l'aboutissement d'une longue évolution au cours de laquelle certaines de ses fonctions seront déconcentrées au profit de l'arrondissement et d'autres au profit de la région. » Edgard Pisani, La région... pour quoi faire ? ou le triomphe des Jacondins, 1969
« Vivre, travailler et décider au pays. » Tract diffusé par le parti communiste dans les années 70
« Je vois mal une coexistence harmonieuse entre la région et le département. [...] Je reconnais qu'il faudra, pendant toute une période, maintenir le département… Ensuite, il devrait être possible de maintenir une animation suffisante grâce aux sous-préfectures convenablement réaménagées. » Jacques Delors, Changer, Stock, 1975
« Tant que ne sera pas fixée l'unité territoriale optima permettant à une population à la fois relativement homogène et suffisamment différenciée de se gouverner et de s'administrer en connaissance de cause, ce pays, que son régime soit libéral ou collectiviste, subira plus ou moins consciemment un totalitarisme de fait. » Pierre Emmanuel, académicien, La révolution parallèle, 1975
« Oui, notre société est bloquée, et pour la débloquer, il faut choisir des solutions révolutionnaires et non-conformistes. [...] Le « pays » est la notion la plus innovatrice de votre projet de loi. Plus encore, c'est une notion subversive au sens noble du terme car elle provoquera la transformation de tout notre paysage administratif et politique. » Charles Millon le 12 juillet 1994 lors de la discussion du projet de loi Pasqua
« Ayons le courage de dire que ces pays seront un formidable point d’appui à la rationalisation et à la restructuration, ultérieures bien sûr, de toutes nos administrations locales. Les pays les plus audacieux, qui sauront faire preuve de volonté politique, rassembler et fédérer leur population au-delà des querelles intestines, restructureront à terme leur réseau de services publics. Et ils offriront aux communes rurales devenues la proie d’un certain clientélisme départemental, après avoir été sous la tutelle pesante de l’État, un espace d’organisation de l’avenir. On peut espérer que les pays deviennent enfin un lieu d’analyse globale et de débat sur l’utilisation de l’argent public distribué sur les territoires. Car le débat n’existe pas, si ce n’est de façon fragmentaire et à l’intérieur des conseils municipaux ou, de façon plus globale, à un échelon qui n’exerce pas lui-même l’ensemble des compétences sur l’action et la vie publique. [...] Certes, le suffrage universel eût mieux convenu. Mais c’eût été brûler les étapes. Appuyons donc les pays sur la population et faisons en sorte qu’ils soient reconnus, et si possible aimés comme objets identitaires. Ce texte offre des garanties démocratiques [...], d’abord par l’obligation de mettre tout le monde d’accord, l’État, les communes, les groupements de communes ; ensuite par le contrôle permanent du conseil de développement, structure consultative des forces sociales ; enfin par la souplesse contractuelle que le syndicat mixte ou le groupement d’intérêt public – ce sont les amendements de la commission – ont offerte à tous leurs partenaires. J’y vois une armature pour une pratique démocratique dont l’État devra rester le garant. Madame la ministre, nous pouvons espérer que vous et votre administration chargée de mettre en œuvre ce texte veilleront à ce que la naissance des pays qui s’organise ne se transforme pas en un instrument – un de plus ! – de distribution de l’argent public mais reste bien un espace démocratique – c’est là une de mes obsessions, et je ne suis pas le seul – de développement. Sans démocratie, pas de développement ! C’est une loi universelle. Si nous réussissons le pari de faire vivre ces pays en les enracinant dans le terrain, dans quelques années, peut-être, une autre génération de parlementaires enregistrera les conséquences de ce choix et décidera la disparition de structures d’administration locales devenues inutiles, archaïques, coûteuses, souvent antidémocratiques et évoluant hors du contrôle de la population... je veux bien sûr parler des conseils généraux. (Sourires.) » Arnaud Montebourg le 2 février 1999 lors de la discussion du projet de loi Voynet
« Si je devais formuler un seul vœu concernant le rôle administratif du pays, ce serait que celui-ci devienne l'espace de la simplification et de la lisibilité de nos politiques. » Pierre Méhaignerie, Pouvoirs locaux n°26, septembre 1995
« Dans ce domaine, notre liberté d’action est totale. L’Europe ne nous contraint d’aucune sorte. Il est prioritaire de nous donner les moyens de plus de proximité, de plus d’efficacité, de plus de cohérence, C’est un immense chantier que celui de la reconstruction d’espaces de solidarité et de démocratie, de plus de justice dans l’action publique. Encore devons-nous avoir le courage, pour y parvenir, de heurter des situations acquises. Il s’agit de réaliser une réorganisation territoriale autour de trois niveaux décisionnels : la commune ou le quartier, l’agglomération ou le bassin de vie, la région, en liaison avec l’État. Bien sûr, il faudra tirer les conséquences de ces orientations pour le département. » Martine Aubry, Il est grand temps, Albin Michel, 1997
« L’accélération de la construction européenne va rendre nécessaire une révolution fondamentale. [...] Il faut retrouver une définition plus moderne, plus flexible de l’organisation du territoire, qui fasse de la région et du pays des moteurs de la vie démocratique, qui leur donne une autonomie politique face à la nation et à l’Europe. C’est un des enjeux des dix prochaines années. Aujourd’hui, l’idée d’une « ligne » unique qui puisse répondre à tous les besoins de l’hexagone est battue en brèche. Il y a déjà dix ans, Michel Rocard avait dit qu’il fallait rendre possible une diversité d’expériences. Cette diversité, cette concurrence serait une source d’imagination sociale et politique. » Daniel Cohn-Bendit, Une envie de politique, La découverte - Le Monde, 1998
« Je pense depuis longtemps que le département a fait son temps et qu’il n’a plus de sens… Il faut envisager sa suppression dans des délais convenables… Mais personne n’a pu y toucher depuis très longtemps. C’est un peu un scandale. » Michel Rocard, France Culture, 18 mars 2001
« Ni Chirac ni Jospin n’ont dessiné un horizon à notre société… [Recréer du lien social], cela veut dire bâtir une société qui se réenracine dans le territoire, par la citoyenneté de proximité. Il faut redéfinir le territoire du politique à l’échelle de la vie des gens. C’est à ce niveau là qu’ils peuvent discuter concrètement de leurs problèmes. Savoir, par exemple, s’ils préfèrent qu’on améliore l’hôpital ou qu’on agrandisse le collège. » Jean Viard, Ouest-France, 30 avril 2002
« Pour ma part, je raisonne autrement et sur deux sphères : celle de la proximité dévolue aux communes, à l'intercommunalité et aux départements, et celle de l'aménagement du territoire et du développement économique qui revient aux régions, à l’État et à l'Europe. C'est pourquoi je propose que les élections municipales et départementales aient lieu le même jour, et que les régionales et les européennes soient aussi jumelées lors d'un autre scrutin. » André Vallini, Le Dauphiné Libéré, 5 mars 2009 (A propos de la fusion département/région prônée par le comité Balladur auquel il appartient comme sénateur et président du conseil général de l’Isère)
« Le socle communal historique demeure, à condition de mieux le fédérer sur un maillage de proximité, […] 300 alvéoles, issues des pays, des villes moyennes ou des districts qui ont fait le terreau culturel de la France, […] un maillage de proximité autour des sous-préfectures. » Jean-Christophe Fromantin, blog, janvier 2014
Les schémas de cohérence territoriale (Scot) au 1er janvier 2014
Ayant pris le relais des Schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme des années 70, les schémas de cohérence territoriale ont pour objectif de maîtriser l’étalement urbain, de préserver l’espace agricole, d’équilibrer les activités, de rationaliser les déplacements sur un territoire afin d’en assurer le développement durable.
Souvent qualifié de « pays », leur ressort ne parvient pas à couvrir les aires urbaines ou les bassins d’emploi les plus vastes définis par l’Insee à partir des déplacements domicile-travail. De là des démarches inter-Scot autour de Rennes et de Nantes. La première, initiée en 2005 par l’État, couvre l’ensemble de l’Ille-et-Vilaine autour de thèmes tels que l’habitat, les déplacements, la compétitivité des territoires, l’eau et le traitement des déchets. La seconde, initiée par le président du Scot de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, est en cours de maturation. Cette démarche laisse pour le moment de côté la communauté de communes de Nozay.
Si l’intercommunalité s’est parfois essayée à épouser les contours des Scot, elle a pu conduire à l’inverse à modifier ici ou là les périmètres de ces derniers.
L’intercommunalité au 1er janvier 2014
Les lois votées en 1992, 1999 et 2004 relatives à l’intercommunalité étant loin d’avoir donné des résultats totalement satisfaisants aux yeux de la Direction Générale des Collectivités Locales au ministère de l’Intérieur, la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales est venue les compléter sur quatre points : refus des communes isolées sauf à Paris et dans les départements limitrophes, population minimale de 5 000 habitants sauf dérogation préfectorale notamment en zone de montagne, rôle moteur des préfets auprès des Commissions Départementales de Coopération Intercommunale, amélioration de la « cohérence au regard notamment du périmètre des unités urbaines au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques, des bassins de vie et des schémas de cohérence territoriale. » (Article 35)
Les bassins n’ont pas d’existence officielle. L’Insee en propose une version excluant l’emploi et fondée sur la présence de services plus ou moins répandus tels que police-gendarmerie, supermarché, librairie, collège, laboratoire d’analyses médicales, ambulance ou bassin de natation. En 2012 la France métropolitaine compterait ainsi 1 644 bassins de vie dont 164 dans les cinq départements bretons. Les bassins bretons sont proches des cantons ruraux. Une commune isolée peut constituer à elle seule un bassin pour peu qu’elle soit bien équipée et n’attire pas ses voisines, cas d’Arradon près de Vannes. Les bassins de vie comptent pour la plupart plus de 5 000 habitants.
D’autres définitions des bassins de vie existent. Prenant en compte les déplacements vers les lieux de travail, et vers les collèges et lycées en Ille-et-Vilaine, les agences d’urbanisme de Nantes et de Rennes ont dessinés en 2008 et 2010 des bassins de vie nettement plus vastes que ceux de l’Insee. Celui de Nantes compterait 120 communes sur trois départements et 840 000 habitants. S’ajouteraient en Loire-Atlantique Saint-Nazaire, trois communautés littorales et quatre territoires centrés sur Châteaubriant, Ancenis, Machecoul et Redon. L’Ille-et-Vilaine compterait de son côté dix bassins de vie, les uns centrés sur Rennes, Saint-Malo, Fougères, Vitré et Redon, les cinq autres associant plusieurs pôles secondaires dans la périphérie rennaise.
Contrairement aux bassins de vie, les schémas de cohérence territoriale sont bien définis. La plupart regroupent plusieurs communautés sous forme de syndicat mixte.
Jugeant satisfaisant le découpage issu des lois précédentes, le préfet du Finistère n’a pas demandé de modification de la carte intercommunale. Les îles d’Ouessant et Sein, dispensées d’impôts locaux, resteront ainsi isolées. Les communautés Monts-d’Arrée et Yeun Elez, bien que n’atteignant pas le seuil requis de 5 000 habitants, seront maintenues, leur fonctionnement étant jugé cohérent.
Sans succès en Loire-Atlantique, les autres préfets ont cherché à fusionner les intercommunalités incluses dans un même bassin de vie ou un même schéma de cohérence territoriale. Le succès a été inégal. Bien des communautés préféré le maintien d’une coopération conviviale entre communes voisines à l’intégration dans un ensemble pouvant dépasser les cinquante communes et les cent mille habitants. Les assemblées communautaires dans ces grands ensembles ne sont que des chambres d’enregistrement. Le pouvoir échappe aux « petits » maires au profit des bureaux.
La carte obtenue au 1er janvier 2014 n’est pas définitive. Proches des seuils requis – 50 000 habitants dont 15 000 dans la commune centre – les communautés de communes de Dinan, Lannion, Fougères, Redon ou Pontivy ambitionnent d’accéder un jour, fut-ce par quelques modifications, au statut financièrement privilégié de communauté d’agglomération. D’un autre côté, faute de pouvoir s’entendre sur des règles communes en matière de fiscalité, les communautés actuellement réunies de Saint-Méen et Montauban en Ille-et-Vilaine pourraient bien divorcer.
Les équipements collectifs, à commencer par les routes, les transports publics, le logement social ou les établissements d’enseignement concernent pour la plupart les villes et les campagnes. Or, même agrandie, l’intercommunalité les dissocie, obligeant à centraliser au département ou à la région (lycées) bien des décisions concernant les populations locales.
La loi de 2010 aura représenté un dernier effort pour constituer par la voie de l’intercommunalité des territoires aptes à mener de vraies politiques d’aménagement et de développement. Une telle ambition est vaine. La multiplicité des communes, bien que moins forte en Bretagne qu’ailleurs, l’interdit. Le souhait de coopérer fraternellement entre communes voisines également. Comme le montre la carte ci-dessous, si 40 communautés de communes ou d’agglomération associent plusieurs chefs-lieux bien distincts, 77 communautés recouvrent des cantons plus ou moins remodelés, les cantons agglomérés à Quimper, Brest, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire comptant ici pour une unité, et 7 communautés de communes ne comportent aucun chef-lieu de canton, les îles d’Ouessant (également canton) et Sein restant communes isolées.
Deux stratégies opposées ont pu jouer. Aux confins des départements, des villes petites ou moyennes, souvent sous-préfectures ou anciennes sous-préfectures, ont enrôlé les cantons voisins afin de peser au sein du département face à son chef-lieu. Elles ambitionnaient aussi parfois d’atteindre les 50 000 habitants donnant accès au statut privilégié de communauté d’agglomération, les 5000 habitants dans la ville-centre étant acquis par ailleurs. L’annexion de deux communes costarmoricaines a presque permis à Pontivy-Communauté d’y arriver avec 49 500 habitants. A l’opposé, à proximité de Nantes, Rennes ou autres villes importantes, des cantons ont refusé toute intégration et tenu à garder leur autonomie. Garder un mode de fonctionnement convivial, profiter de la proximité de la ville sans en supporter les coûts, disposer de cars départementaux directs car n’ayant pas le droit de s’arrêter sur le territoire de l’agglomération centrale. Les assemblées communautaires au-delà d’une douzaine de communes tendent à devenir de simples chambres d’enregistrement, les élus ayant l’impression de perdre le pouvoir au profit des bureaux. Avec 29 communautés de communes, contre 19 en Loire-Atlantique et Morbihan, les Côtes d’Armor payent la rançon de leur prospérité passée. Département breton le plus peuplé à la Révolution, c’est lui qui compte aujourd'hui le plus grand nombre de communes, cela venant limiter l’ampleur des communautés.
On ne rassemblera pas les communes autour de vrais pôles d’aménagement et de développement par la voie de l’intercommunalité. Il faut s’attaquer aux départements, leur substituer de petits territoires ayant la dimension de nos arrondissements. Aptes à cumuler les fonctions actuelles des départements et des agglomérations, comme le tentent aujourd'hui hardiment les 59 communes de la métropole lyonnaise, de telles entités permettront de laisser à l’intercommunalité sa fonction conviviale d’entraide entre communes voisines sous le seul regard de la nouvelle institution.
Diversité des communes françaises
Caillou dans la chaussure du futur Commissaire Général à l’Égalité des territoires, l’infinie diversité du tissu communal en France éclate dans cet extrait du chapitre 7 de Petits départements et grandes régions, Proximité et stratégies(Loeiz Laurent, L’Harmattan, 2011). Les quatre cartes présentées sont particulièrement éloquentes. Les deux premières ont trait aux communes, les deux autres aux petits bassins de service mis en évidence à Rennes par la mission nationale d’étude des solidarités territoriales en 1990.
Grandes et petites communes en 1968
Les deux premières cartes, tirées du petit livre rouge publié par la Datar en mai 1968, nous montrent une situation qui a peu évolué depuis. Elles rendent compte de l’extrême diversité du tissu communal français, résultat de vingt siècles d’histoire. La densité des communes reflète souvent l’importance d’un peuplement disparu, la prospérité d’hier devenant handicap aujourd'hui. Ainsi la Loire-Atlantique, le moins peuplé des cinq départements bretons en 1791, compte aujourd'hui 221 communes bien vivantes quand, les Côtes-d’Armor, alors le plus peuplé des cinq, en compte 373 aujourd'hui souvent assoupies. Ces deux cartes laissent également deviner le semis primitif des villages, reflet de la fertilité des terres et de la densité des sources. Là où les terres étaient riches et l’eau rare, de gros villages sont apparus, petites paroisses érigées en communes à la Révolution. Là où les terres étaient pauvres et l’eau omniprésente, de vastes paroisses pouvant regrouper 50 à 200 villages ou hameaux dispersés sont devenues de vastes communes.
Les petits bassins de services
L’Insee a mené en 1988 une enquête auprès des communes sur la présence ou le lieu d’obtention de quelque 62 services relativement répandus : boulangerie, café, médecin, salon de coiffure, maçon, poste d’essence, collège, supermarché, perception, bureau de poste, vétérinaire, etc. Peu de services proprement urbains ont été retenus. Deux cartes nationales ont été tirées à Rennes des données ainsi recueillies.
La première carte met en évidence 9 000 petits territoires qualifiables d’autosuffisants du fait des services trouvés sur place. Comme pour les bassins d’emploi, l’on a cherché à mettre en évidence un nombre maximum de zones cohérentes. Des milliers de communes font ici montre d’indépendance ; le nombre de services trouvés sur place y est égal ou supérieur à celui menant à fréquenter un autre petit territoire et ces communes n’en attirent pas d’autres.
Il conviendrait, pour faire ressortir la richesse de cette carte, de la décliner de multiples façons : degré de polarisation des bassins (ceux limités à une commune étant considérés par définition comme polarisés), présence d’un ou de plusieurs chefs-lieux de canton ou d’arrondissement, nombre de communes rassemblées. Bien des petits bassins de service autosuffisants sont cantonaux ou même pluri-cantonaux. L’on se contentera ici de noter, par comparaison avec les deux cartes précédentes, le nombre particulièrement important de communes autosuffisantes dans les Flandres, en Alsace, en banlieue parisienne, dans le sillon rhodanien, en Bretagne ou dans les Pays de la Loire. L’intercommunalité dans ces régions n’est pas vécue comme une menace, prélude à la création d’une « grande commune », mais comme l’expression d’un simple besoin de coopération. D’autres travaux menés à Rennes montrent que la taille optimale des communes autour des villes s’étale entre 500 et 5 000 habitants. Telle est effectivement la situation dans les régions précitées.
Basée sur les mêmes données concernant la fréquentation de 62 services, la carte suivante délivre un tout autre message. Seules les entrées et les sorties de chaque commune ont été ici prises en compte, les services disponibles sur place étant ignorés. Les bassins obtenus étant ainsi nécessairement pluri-communaux, l’on passe de 9 000 à 2 198 petits bassins distincts, le plus souvent cantonaux ou pluri-cantonaux.
La carte de ces 2 198 petits bassins de services semble à première vue plus homogène que la précédente ; mais cette homogénéité disparaît si l’on considère en chacun d’eux la répartition de la population. Prenons en début d’alphabet ceux de Buzancy, Bagnères-de-Luchon et Baud, tous trois centrés sur un chef-lieu de canton. L’architecture différente de ces différents bassins saute aux yeux. Ceux de Buzancy et de Bagnères-de-Luchon sont déjà présents dans le découpage en 9 000 petits bassins de services autosuffisants, leurs centres étant pratiquement seuls à y proposer des services. Autre exemple pyrénéen avec cette fois-ci deux chefs-lieux de canton, le bassin d’Axat. Ce chef-lieu de canton de 919 habitants en attire 1 534 autres répartis dans 24 communes dont un second chef-lieu de canton de 142 habitants. Ce bassin compte ainsi 2 chefs-lieux de canton, 25 communes et 2 453 habitants. Bien des communes rurales bretonnes dépassent cette population. Leurs centres sont en effet pratiquement seuls à y proposer des services.
Le bassin de Baud par contre s’y retrouve éclaté en trois petits bassins de services autosuffisants, Baud, Camors et Quistinic. Avec son « bourg » peuplé en 1982 de 571 habitants et ses « villages » en totalisant 1 750, la commune de Camors a plus de poids à elle toute seule que le petit bassin lorrain de Buzancy avec ses 15 communes dont un chef-lieu de canton. Un peu moins peuplée, la commune de Quistinic n’est pas loin d’être dans la même situation.
On ne le répétera jamais assez ; une telle diversité rend vaine toute prétention à décider d’en haut des compétences respectives des communes et des intercommunalités. Comme pour le remembrement, où l’existence du bocage a été ignorée, ou la loi littoral, où l’on a oublié les zones d’habitat dispersé, toute législation nationale portant sur les compétences communales et intercommunales ne saurait être en bien des régions que parfaitement inadaptée.
Des architectures communales radicalement différentes :