Géographie de la Bretagne/Agriculture et agro-alimentaire

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Version du 5 octobre 2015 à 14:55

Sommaire

Agriculture et agroalimentaire (1994)

Auteur : Corentin Canévet


Agriculture et l'agroalimentaire de Bretagne en crise (2014)

Auteur : Renaud Layadi


L'envol et l'apogée du modèle agricole breton.

Jusqu’au milieu des années 1990, rien ne semble être à même de contrecarrer le phénoménal développement des filières agroalimentaires bretonnes qui ont bénéficié du lobbying très efficace du Comité d'Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons (CELIB). (1)

La Bretagne, dès le début des années 1960 comprend parfaitement l’intérêt du Marché Commun et, à partir de 1972, des Plans de développement financés par les instances européennes au titre du FEOGA-Orientation permettent de diriger les aides vers l’amélioration des structures d’exploitation en même temps que le départ à la retraite des générations d’agriculteurs les plus âgés libère des terres. L’agriculture bretonne prend son envol.



De la ferme à l'exploitation agricole.

Dans l’économie laitière l’abandon de la rustique race pie-noire au profit de la frisonne française pie-noire (FFPN) puis de la prim’holstein permet, entre 1950 et 1980, de tripler le rendement laitier des troupeaux. Les performances sont encore accrues de 40% entre 1984 et 1998. La robotisation des salles de traite permet en outre de réduire la main d’œuvre nécessaire et alors que les éleveurs les plus performants sont primés par les collecteurs de lait, les autres sont encouragés à quitter le métier et à vendre leurs terres.

Au tournant du siècle la Bretagne, avec plus de 4 500 millions de litres de lait livrés contribue à 20% de la production nationale de lait de vache et détient des places de choix sur le panel français de ses principales transformations.


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Les évolutions sont encore plus spectaculaires dans le domaine de la production porcine qui va constituer, à partir des années 1960 et grâce aux enseignements tirés des exemples bataves et danois, le fleuron de la ferme bretonne.

Les éleveurs bretons, bénéficiant d’un réseau de ports en eau profonde qui, à Brest, Lorient ou Montoir, permettent de livrer du soja en provenance directe des Etats-Unis et du Brésil, comprennent que l’avenir est dans l’industrialisation des élevages, seule capable de permettre de dégager un bénéfice souvent spectaculaire sur une surface de production réduite. En 1986 le volume de carcasses produites était déjà de 750 000 tonnes, il atteint le million en 1993 puis se stabilise à 1.2 millions de tonnes entre 1998 et 2000.

La Bretagne produit désormais 55% du tonnage national, se dote à Plérin (Côtes d’Armor) de son propre marché au cadran qui étalonne le prix du porc pour le marché national. La production porcine sied bien à une génération d’éleveurs qui entend s’inscrire dans une certaine modernité. Certains groupements plus élitistes, notamment Léon - Trieux , basé à Landivisiau (Finistère Nord), n’admettent que des éleveurs capables de faire naître plus de 25 porcelets vivants par truie et par an. Des performances qui sont atteintes par une parfaite maîtrise de l’alimentation, des soins vétérinaires, du naissage et du pilotage de l’élevage par le recours à l’informatique et l’automation. D'autres, comme la Cooperl de Lamballe optimisent et intègrent toutes les étapes de la filière, depuis l'approvisionnement de l'aliment du bétail jusqu'à la transformation charcutière des carcasses. Une telle intégration exige une parfaite maîtrise d'un nombre élevé de métiers mais aussi la constitution d'une identité de structure très forte. Elle peut être favorable lorsqu'il s'agit de prendre des décisions difficiles ; elle peut comporter des limites car elle enferme l'adhérent dans un monde clos et étanche à l'évolution de la société.



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La production de volaille n’échappe pas à la montée en puissance des productions animales. Sous l’impulsion de groupes coopératifs – Unicopa, Le Gouessant – ou privés – l’éphémère Bourgoin ou le groupe Doux – la production de poulets de chair explose et est acheminée par navire réfrigéré vers les marchés de l’Afrique et des pays du Moyen-Orient.

Pour ce faire elle bénéficie des accords ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique) contractés entre l’Europe et les pays de l’ancien empire français d’Afrique Occidentale et Equatoriale ainsi que de pays amenés par l’héritage gaullien d’une politique d’amitié avec le monde arabe. Les ventes de poulet halal accompagnent la fourniture d’armes ou de technologie nucléaire à destination de l’Irak, de la Jordanie ou des monarchies pétrolières du Golfe.

Pour rendre la volaille compétitive sur ces marchés export peu rémunérateurs, la politique agricole européenne a mis en place un système de restitutions qui compense le différentiel entre le coût de production et le prix de vente. Lors de son apogée au seuil des années 2000, sur les 900 000 tonnes de carcasses produites en Bretagne, 200 000 tonnes passent, grâce à la générosité de la politique agricole européenne, par les 20 000 m² d’installations frigorifiques construites sur le port de Brest. Les opérateurs bretons réalisent alors plus de 60% du potentiel export de la filière française. Ils ne sont pas compétitifs sur le marché mondial et c'est bien le produit des impôts collectés dans les Etats puis redistribués par l'Union Européenne sous forme de restitutions qui permet aux opérateurs de la volaille export bretonne de se considérer comme exportateurs.

Un bilan quantitativement tout aussi flatteur peut être dégagé dans l’ensemble des productions légumières régionales. Alors que dans les années 1960 les légumiers avaient revendiqué spectaculairement la maîtrise de la commercialisation de leurs produits par la création de SICA, ils prolongent leur développement une vingtaine d’années plus tard par le développement de productions sous serre qui permettent en partie de s’affranchir de l’aléa climatique. Les productions sous atmosphère contrôlée, bénéficiant des technologies bataves, supplantent le légume de plein champ dès le début des années 1980 et permettent l'ouverture de nouveaux marchés.

Désormais les productions bretonnes échappent en partie à la saisonnalité des cycles. L'allongement des périodes de production permet en outre une meilleure utilisation des facteurs de production : zones de stockage, de maintien en froid, transports par poids lourds.



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Comme pour les marchés du lait du porc et de la volaille, la Bretagne s’impose dans le légume comme une région majeure à l’échelle européenne avec la création, à l’aval, d’une industrie de la congélation ou de l’appertisation.



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Au tournant du siècle la Bretagne est en tête du classement national pour les productions suivantes :

Productions légumières avec notamment 86% des surfaces nationales de choux fleur, 83% de celles d’artichaut et 26% de celles de tomates, 22% des livraisons de lait, 22% du cheptel de veaux, 57% du cheptel porcin, 34% de la production de volailles de chair, 42% de la production d’œufs de consommation.


Un espace modelé pour une économie de flux

Cette montée en puissance des productions primaires est servie par une structure d'aménagement du territoire tout entière tournée vers une agriculture de flux.



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Au cours des années 1965-1975 les principaux ports bretons s'équipent de quais en eau profonde. Ils permettent l'accostage de céréaliers qui viennent approvisionner les productions animales avec les protéines végétales - maïs des Etats-Unis, soja du Brésil - nécessaires à une montée en puissance du modèle de production régional. Ces infrastructures accueillent également les minéraliers acheminant l'azote des ports du Nord de l'Europe ou les phosphates du Maroc et de la Mauritanie. Brest, Lorient, Saint-Nazaire mais aussi Saint-Malo ou Saint-Brieuc sont en prise directe avec les 2x2 voies gratuites qui ceinturent l'espace péninsulaire.

De fait, que ce soit le long de l'axe Nord (RN12), Sud (RN165) ou sur les transversales (RN24), l'organisation de la production régionale grâce à un maillage exceptionnel de voies de grand gabarit gratuites répond aux règles des flux tendus profilées, sur le modèle industriel, pour répondre au juste-à-temps et satisfaire la demande de la grande distribution.

L'extrême fluidité logistique permet un approvisionnement régulier en protéines végétales acheminées depuis le continent américain. La transformation en aliment de bétail se fait au moyen d’un trafic continu de poids lourds, quittant les silos portuaires et acheminant soja, maïs, sorgho et manioc vers des usines de nutrition animale situées au cœur des bassins de production. Celles-ci approvisionnent les élevages hors-sol situés dans un rayon de 20 à 25 km, qui à leur tour fournissent des usines d'abattage-découpe (porcs, bovins) ou de transformation (lait, charcuterie...) situés elles aussi sur les axes majeurs et en prise directe avec le marché européen.



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Le tournant des années 90 : une fin de cycle lourde d'incertitudes

Les toutes dernières années du 20ème siècle marquent la fin du cycle extrêmement favorable qui avait été entamé au cours de la décennie 1955-1965. Grisés par leur succès, l'agriculture bretonne et le puissant complexe coopératif qui la porte ne voient pas de profiler la fin d'un âge d'or. Une conjonction de cinq facteurs fragilise l'édifice patiemment bâti par René Pléven et le CELIB.



L'inexorable montée des pollutions agricoles

Ce n'est qu'en 1976 que le phénomène de l'apparition des nitrates apparaît dans le suivi de la qualité des eaux qui sont distribuées au Bretons. A partir de 1981 les fréquences d'occurrence dans les rivières bretonnes s'emballent et les premières inquiétudes se font jour alors que les productions animales entrent dans un cycle de croissance soutenue.

Selon l'Institut Français de l'Environnement on détectait 4 mg/l de ce polluant dans les captages au début des années 1960. Cette valeur croit ensuite de manière inexorable dans les années suivantes : 10 mg/l en 1973, 15 en 1975 ; en 1982 la norme-guide de 25 mg/l est dépassée, en 1992 la teneur s'élève à 35mg/l pour atteindre 38mg/l en 1994.

Pour les observateurs du modèle breton, l'altération des eaux superficielles qui fournissent 80 % des ressources en eaux potables ne peut être une surprise. En 1998-2000, la Bretagne concentre sur 7 % du territoire national 3 millions de bovins, 13 millions de porcs, 100 millions de volailles qui produisent 200 000 m3 de déjections soit l'équivalent d'une ville de 40 millions d'habitants. A l'azote d'origine animale il faut ajouter 198.000 tonnes d'azote minéral, 5 000 issus des rejets industriels et 3 000 tonnes pour les rejets domestiques.

Les répercussions sont immédiates pour le consommateur ; le prix de l'eau potable qui doit supporter un traitement de plus en plus lourd, double entre 1992 et 2000. En 1997, en prenant en considération des teneurs maximales observées, seuls 10 % des consommateurs recevaient une eau respectant la norme guide de 25 mg/l, 40 % disposaient d'une eau évoluant dans la fourchette des 25-40 mg/l, 44 % entre 40 et 50 mg/l. Quant aux 6 % restant, il leur était livré une eau non-potable. Entre 1998 et 1999, ce dernier taux double, passant à 13.3 %.

Parallèlement un autre polluant, plus discret se fait également jour. Les pesticides, épandus sur les céréales et le maïs ensilage, apparaissent de manière massive. A partir de 1995, leur recherche est systématique et l'atrazine, utilisée dans la culture du maïs, dépasse la norme maximale de 0.1 microgramme dans 90 % des captages. Il en va de même pour les autres organochlorés qui excèdent la norme dans 75 % des rivières. En 1996 les autorités sanitaires mesurent les teneurs en matières actives des pluies entre Ouessant et Rennes qui, voyageant d'Ouest en Est passent au dessus des surfaces cultivées en maïs et en céréales. Les résultats sont édifiants puisqu’à Rennes l’eau des pluies de mai et juin n’est pas potable…

Tout aussi grave est la présence massive de phosphore. Sur les 300 000 tonnes apportées annuellement au territoire breton, 60 000 sont produites par les activités humaines, 240.000 par l'agriculture. Comme pour les métaux lourds, cuivre et zinc, le risque est la stérilisation des sols.

Face à l'urgence de cette situation et malgré la loi sur l'eau votée en 1992, ce n'est qu'en 1994 qu'une réglementation est pour la première fois appliquée en Bretagne et concerne les installations classées pour la protection de l'environnement. Dans la foulée l'Etat crée un dispositif d'aide permettant de faciliter la mise en conformité des élevages grâce au Programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) abondé à hauteur de 260 millions d'euros. Parallèlement est également mise en œuvre une réglementation sur les épandages de nitrates d'origine agricole qui définit des zones d'excédents structurels sur base cantonale et dans lesquelles il est interdit d'épandre plus de 170 kg d'azote à l'hectare.

A partir des années 1994 se succèdent les tentatives de protection de la qualité de l'eau en Bretagne. Outre la réglementation qui souffre de nombreux contournements voire d'une réticence persistante à son application et d'un manque de moyens criant dans la vérification de sa mise en œuvre, les outils d'intervention se succèdent. Bretagne Eau Pure 1, timidement lancé en 1990, est interrompu au profit de Bretagne Eau Pure 2 dès 1994. Le PMPOA bénéficie de rallonges, les Schéma s d'aménagement et de gestion des eaux rajoutent une couche aux politiques de protection de la ressource.

A plusieurs reprises la Cour des Comptes (2) souligne l'absence de résultats liée au manque de respect de la législation et au rôle ambigu des Chambres d'agriculture à la fois prestataires de services dans les opérations de protection de l'eau et chargées d'une mission de service public. On parle désormais d'une situation de crise environnementale.



La rupture du consensus social

Si la pollution des eaux destinées à la potabilisation est d'abord vécue appréhendée comme un co-produit gênant mais nécessaire du progrès, dès les années 1990 apparaît une conflictualité environnementale.

Les associations de protection de l'environnement, emmenées par Eau et Rivières de Bretagne – APPSB, présentes dans les instance de concertation régionales, départementales ou locales, suivent avec attention les décisions qui sont prises par les pouvoirs publics et dénoncent les libertés qui sont parfois prises avec le droit tant par l'Etat lui même que par la profession agricole. (3)

En janvier 1996 se déroule à Saint-Brieuc la première manifestation venant en appui à une grève du paiement des factures d'eau. Il devait venir un millier de participants, le double se rassemble. A partir de cette date les manifestations contre les pollutions agricoles deviennent régulières et rassemblent jusqu’à 10.000 manifestants, à Pontivy en mars 1999. Issue des classes moyennes rurales et des professions nécessitant une eau de qualité, cette manifestation marque une étape importante car elle libère la parole et démontre la profondeur de l'exaspération des Bretons. Après cette date, les implantations d'élevages font désormais l'objet d'un harcèlement dès lors qu'une autorisation d'implantation ou d'extension est demandée. Dès qu'une demande est déposée en mairie, un comité de défense se crée contribuant à effilocher le consensus autour de l'agriculture bretonne.

Si le phénomène de pollution des eaux par les nitrates et les pesticides intéressait essentiellement les résidents permanents, tel n'est pas le cas pour l'apparition des algues vertes qui, à partir de la seconde moitié des années 1970, rythment les saisons touristiques sur le littoral breton.

D'abord considérées comme un épiphénomène gênant, nauséabond et ponctuel des apports de nutriments excédentaires d'azote et de phosphore, elles deviennent 20 ans plus tard des hôtes réguliers de 45 à 65 communes bretonnes. Entre 1992 et 1998 il est estimé qu'entre 50 000 et 100 000 tonnes sont ramassées et mis en décharge annuellement. Mais ce volume ne représente que 10 à 20 % de ce qui est produit par le milieu.

Le 22 juillet 2009 le phénomène des algues vertes change radicalement de dimension. Le décès d'un collecteur d'algues sur la commune de Binic (Côtes d'Armor), dont on soupçonne l'empoisonnement par de l’hydrogène sulfuré issu du pourrissement des ulves, transforme la question en enjeu de santé publique.

Les algues vertes sont désormais considérées comme un danger public : l'Etat et la Région se mobilisent, des fonds sont débloqués pour aider au ramassage des ulves échouées tandis que de nouvelles manifestations sont organisées par les « victimes des pollutions agricoles » pour dénoncer l'inaction des pouvoirs publics et de la profession.



La dérégulation des échanges. et la globalisation des marchés

Si les pollutions agricoles ont généré une contrainte exogène à l'intensification des productions en Bretagne, la libéralisation des échanges de denrées agroalimentaires font peser une menace autrement plus redoutable que les protestations d'une partie dominante de la société bretonne face au taux de nitrates dans l'eau ou aux marées vertes estivales.

Dès les années 1960 en effet, le modèle agricole breton s'est organisé autour du concept d'agriculture de flux basé sur une production de masse. Ce choix a provoqué la disparition des races traditionnelles décidément peu adaptées à un mode de production industrielle et la réduction à la portion congrue des labels de qualité.

De fait, l'agriculture de qualité, essentiellement sous label Agriculture Biologique (AB) ou Label Rouge, n'a que très lentement accru son emprise sur la région. Si en 2010 les 1 228 exploitations AB rassemblaient 2.4 % de la SAU, elles n'étaient encore que 1 770 pour 3.9 % de la surface agricole en 2013. Un constat similaire s'impose pour les exploitations sous Label Rouge, correspondant à l'Indication géographique protégée (IGP) selon la directive européenne 2081/92. En 10 ans, en dépit des multiples crises qui ont secoué les productions animales, l'effectif a gagné un peu plus de 500 exploitations en une décennie, passant de 1 940 unités en 2002 à 2 500 en 2012.

Des chiffres à mettre en perspective des 34 000 exploitations agricoles bretonnes et qui attestent qu'une seule exploitation sur huit assure une production sous signe de qualité ceci pour moins de 10 % de la surface agricole utile. Ayant fait disparaître au cours des années 1955-1975 les races traditionnelles qui auraient pu constituer les bases pour la recherche d'indications géographiques protégées ou mieux encore d'appellations d'origine protégée, l'agriculture bretonne n'a que peu de spécificités à faire valoir.

En conséquence , la globalisation des marchés et la libéralisation des flux de denrées alimentaires cueillent de plein fouet un complexe de production de masse qui, jusqu'aux années 2000 s'était cru à l'abri derrière les solides barrières tarifaires et des aides à l'exportation conçues pour protéger l'agriculture européenne depuis la fin des années 1950.

Avec la mutation le 1er janvier 1995 du GATT (Accord général sur le commerce et les tarifs) en OMC (Organisation mondiale du commerce) et sa généralisation à l'ensemble de la planète depuis l'adhésion de la Chine le 1er janvier 2002, le projet des partisans de la dérégulation des échanges ne connaît plus de limite ; on ne parle plus d'agriculture mais de marchés alimentaires.

Faute d'avoir anticipé un avenir pourtant parfaitement prévisible, les filières bretonnes, qui avaient prospéré à l'abri d'un robuste parapluie européen, entament un processus de rationalisation. La filière volaille export qui bénéficiait des restitutions lui permettant d'exporter vers les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique est la première à en subir des conséquences.

Dès la fin 1999 cette filière nregistre un premier choc avec la perte des marchés arabes au profit des productions thaïlandaise et brésilienne moins chères de 15 à 20 %, ces dernières ayant bénéficié du savoir-faire breton grâce aux investissements du groupe Doux dans ce pays. En 2002 puis en 2003 ce même groupe Doux engage une restructuration massive de son outil de production avec la fermeture des sites de Briec, Plouray, Malansac, Vannes. Au cours des années suivantes, malgré les perspectives de disparition des 63 millions d'euros annuels d'aides aux exportations, le groupe continue son activité au prix d'un endettement massif sans aucune modification de sa stratégie commerciale et de son positionnement sur les marchés bas de gamme. A partir de 2011, comme il fallait s'y attendre, la situation se révèle de nouveau intenable. En 2012 trois nouveaux sites sont fermés à Grancourt (Pas-de-Calais), au Pontet (Vaucluse) et à La Vraie Croix (Morbihan). Le groupe en situation de cessation de paiement est confronté au spectre de sa propre disparition.

Un même processus d'agonie lente de la filière est à l'oeuvre du côté d'UNICOPA. Ayant repris les actifs du groupe Bourgoin suite à sa faillite suspecte, la coopérative UNICOPA plombée par une gestion impressionniste est démantelée en 2010. Tilly-Sabco et son site de Gueslesquin poursuit l'activité mais se retrouve confronté à des marchés export toujours plus compétitifs, à un appareil de production vieillissant et à la perspective de disparition des restitutions. En 2013, Tilly-Sabco qui avait occupé plus de 700 postes de travail en 1981 peine à imaginer des perspectives pour les 300 qui restent. Une fermeture du site aurait également comme effet de priver de débouchés la centaine d'aviculteurs qui approvisionnent le site.

Faute d'avoir intégré une extinction des aides, pourtant parfaitement annoncée, prévue et validée par l'Etat, la filière volaille export doit faire face à un risque de disparition. Une perspective identique pourrait menacer l'économie laitière qui, avec le système des quotas, était néanmoins parvenue, depuis leur mise en œuvre en 1984, à une situation relativement pérenne. Le système des quotas avait ceci d'efficace qu'il permettait de faire disparaître les stocks considérables de lait, transformé en beurre qui était ensuite bradé avec force subventions sur le marché international grâce à un système d'aide déguisée à l'exportation. Ce système permettait aussi de prévoir l'allocation de lait produit par exploitation agricole et facilitait une gestion relativement fine de l'entreprise.

La disparition annoncée des quotas en 2015 va ouvrir l'économie laitière à la concurrence car le seul étalonnage sera le prix de revient du « minerai » puisque telle est désormais la dénomination du produit primaire. L'objectif est en effet de rendre l'Europe à même de se placer sur le marché mondial au même titre que les pays ayant une tradition libérale solidement établie (Nouvelle-Zélande et Australie notamment) et d'être à même d'approvisionner les marchés d'importation de poudre de lait, notamment en Chine, dans les pays arabes, voire en Afrique.

Ces évolutions ont un impact déterminant sur l'économie laitière bretonne. Entre 2000 et 2010, le nombre d'exploitations laitières a perdu un tiers de ses effectifs de 15 000 à 10 000 unités mais, dans un même temps les surfaces moyennes par unité ont augmenté de 40 % et les troupeaux se sont accrus de moitié à 55 vaches laitières. Outre un effondrement de l'emploi dans le secteur, cette mutation a accru la vulnérabilité des structures économiques. A l'intensification des productions correspond une intensification capitalistique des élevages qui ont un recours croissant aux intrants, à la mécanisation permettant par exemple de substituer des robots de traite à la main d'oeuvre humaine. En conséquence les fermes laitières les plus « modernes » sont aussi celles qui sont les plus endettées et donc les plus sensibles aux variations des prix d'un produit standardisé et ne présentant pas d'avantage comparatif à faire valoir.

Elles modifient également profondément la relation du fournisseur à l'industriel. Après l'économie de la volaille dans les années 1970, c'est maintenant aux producteurs laitiers de faire l'expérience de l'intégration amont-aval. Dans le nouveau système qui s'est mis en place dans les années 2005-2010, le producteur est lié à son acheteur industriel par un contrat d'exclusivité qui lui interdit de pouvoir faire jouer la concurrence. Le prix du lait est fixé par l'acheteur-transformateur en fonction des cours mondiaux. Si ceux-ci baissent, les laiteries « répercutent » à leur tour cette variation de prix auprès de leurs fournisseurs. C'est là un facteur additionnel de vulnérabilité.


La filière porcine, troisième pilier des productions animales en Bretagne, n'a pas échappé aux chocs de mutation qui ont affecté des secteurs traditionnellement robustes qui avaient tiré le modèle breton. L'absence de stratégie commerciale, la course au gigantisme des coopératives, le manque d'investissement dans les outils d'abattage ont provoqué en 2013 la fermeture de l'usine Gad de Lampaul-Guimiliau racheté en 2008 par le groupe morbihanais CECAB.

Fondée à l'aube des 30 Glorieuses, cette charcuterie familiale s'agrandit en 1956 et compte une vingtaine de salariés. Trente ans plus tard la société occupe 280 salariés et continue son expansion jusqu'à atteindre, à son apogée 1 200 salariés en 2001, ceci pour un chiffre d'affaires de 274 millions d'euros. Elle abat hebdomadairement 27 500 porcs issus du bassin de production léonard et transforme 137 000 tonnes de viande par an. En 2008, le groupe coopératif CECAB qui a déjà l'ancien abattoir Olympig de Josselin dans son portefeuille achète des parts dans Gad et fédère les deux unités de production au sein de Gad SAS . En 2010 les deux usines emploient 2 500 salariés pour un chiffre d'affaires de 700 millions d'euros. La Cecab et le groupement de producteurs porcins Prestor prennent la totalité du capital.

Dès 2011 les premières difficultés se font jour. La version officielle fournie par la Cecab pour expliquer les difficultés fait état d'une concurrence déloyale des outils d'abattage allemands qui ont recours à une main d'oeuvre bon marché d'origine roumaine et polonaise. Toutefois cette main d'oeuvre est également présente en Bretagne et c'est une raison qui semble laisser insensible l'autre opérateur breton du porc, la Cooperl de Lamballe. On évoque également les règles environnementales trop rigoureuses en France en général, en Bretagne en particulier, qui réduisent les marges de éleveurs et augmentent le prix de revient des porcs charcutiers ; mais ces règles sont encore plus strictes en Allemagne, au Danemark et au Pays-Bas.

La fermeture de Gad en octobre 2013 qui laisse 800 salariés sans réelles perspectives d'embauche semble dûe à des erreurs de stratégie. A l'heure où le marché européen s'est homogénéisé et où rien ne différencie les productions industrielles, la plus petite erreur est sanctionnée. Une absence de réflexion stratégique est une faute grave en temps normal, elle est fatale et sans appel à un moment où les marchés se dérégulent.

Ce cas emblématique pose très clairement la question du management dans les entreprises bretonnes qu'elles soient privées ou coopératives. L'absence de créativité marketing, le recours exclusif à une approche par les coûts, l'exposition excessive aux marchés peu solvables ou sensibles aux sursauts des relations internationales pose la question du projet stratégique pour un secteur qui demeure une clé de voûte de l'économie régionale. Une observation d'autant plus critique que si le contexte commercial a radicalement changé au cours des 50 dernières années, la culture marketing, elle, est infiniment plus lente à infuser au sein des états-majors.



La bataille de la qualité ; quand le pouvoir change de main

Outre des causalités dues à une charge polluante excessive sur le territoire et à une difficulté à appréhender les effets des accords internationaux, les filières agroalimentaires bretonnes ont dû faire face, à partir des années 1990, à un troisième défi.

Lors de la conférence de Stresa en 1958 et qui donne le coup d'envoi à la politique agricole commune, deuxième pilier de la construction européenne avec le charbon et l'acier, l'enjeu pour les pays du Marché Commun est simple. Il s'agit de produire en masse. Les opérateurs bretons comprennent rapidement la révolution qui se prépare grâce à Edouard Leclerc, épicier à Landerneau qui prétend gommer les intermédiaires et vendre en masse.

A partir des années 1970 le contexte évolue. Désormais autosuffisante, la Communauté Européenne encourage son agriculture à faire ses armes à l'export grâce à une sélection des exploitants les plus performants; c'est de surcroît un excellent argument pour réduire le nombre d'actifs agricoles. Cette seconde étape intervient alors que les productions bretonnes connaissent des améliorations techniques significatives.

Dans les métiers du lait la race frisonne française est remplacée par la prim'holstein, laitière performante et docile. Le maïs se généralise et permet des taux record de matière sèche à l'hectare rendant possible une intensification des pratiques.

Dans l'économie porcine, les derniers représentants de la race porc blanc de l'ouest sont relégués à une situation marginale, remplacés par la race Large White, Duroc, Landrace. Le nombre annuel de porcelets vivants par truie grimpe sous l'effet des progrès de la zootechnie : 15 au début des années 1970, 20 au milieu des années 1980, 25 à 27 10 ans plus tard. Les crises structurelles sur ce marché cyclique secouent la filière. Elles valent quelques désagréments aux préfets mais permettent aussi un mouvement de concentration.

Dans le secteur de la volaille, une même dynamique est à l'oeuvre, les ateliers les plus industriels bénéficiant de meilleures conditions d'achat des intrants : poussins, alimentation, antibiotiques.

Dans l'économie légumière enfin, les rendements sont certes moins spectaculaires mais les sélections végétales rendent possible une meilleure précocité des produits. Toutefois c'est surtout l'optimisation logistique qui permet accroître les productions. Les bassins sont maillés par des stations de conditionnement accessibles aux poids lourds qui empruntent ensuite les voies rapides vers les marchés européens. Un marché au cadran, copié sur les 'veilingen' bataves permet se supprimer les intermédiaires.

En somme, après avoir gagné la bataille de la production, l'agriculture bretonne, au prix de significatives réductions d'effectifs et d'un opiniâtre refus d'intégrer les coûts du respect de l'environnement, sort vainqueur de la bataille des coûts.

Si les deux premières étapes avaient été négociées avec un certain talent – dans les années 1980-1990 la Bretagne fait partie du trio de tête des régions agricoles européennes et ses productions irriguent le marché mondial du lait ou du porc – les années suivantes marquent un décrochage de la ferme bretonne. Celle-ci, confrontée à la bataille de la qualité, se trouve face à une logique de conquête de marchés bien plus complexe qu'un simple objectif visant à produire du volume à coût comprimé.

Dès 1989, l'adoption des normes de la série ISO 9000 par l'entreprise Binic Gastronomie, dans les Côtes d'Armor, marque une révolution dans la manière de produire. Si les normes de qualité étaient en effet anciennes dans l'économie laitière confrontée à une grande sensibilité bactériologique, le recours aux normes ISO9000 par une entreprise oeuvrant dans la confection d'aliments pour bébé et ayant recours à de la viande, marque une étape fondamentale. Désormais l'adoption de cette certification signifie que les filières animales doivent se soumettre au contrôle d'un évaluateur vigilant et peu conciliant si elles veulent conserver ou gagner des parts de marché.

Parallèlement, comme le souligne Robert Rochefort (p75-100), les dernières années du 20eme siècle voient, dans l'ensemble de l'Europe comme sur le marché domestique, une individualisation de la consommation. Le marché éclate en segments et sous-segments alors que la grande distribution, considérée comme « populaire », capte aussi des clientèles issues des classes moyennes – moyennes supérieures exprimant des aspirations différentes. Elles portent des choix privilégiant la qualité et confrontent l'amont productif à une situation radicalement nouvelle.

Au cours des mêmes années les filières animales connaissent des accidents sanitaires graves. La première crise de la vache folle (1996), la crise de la dioxine dans le lait (1997), les découvertes de trafic d'hormone pour le bétail (1996, 1998, 1999), la seconde crise de la dioxine dans la volaille cette fois (1999), la seconde crise de la vache folle (2000), la crise de la fièvre aphteuse (2001), la découverte de nouveaux trafics d'antibiotiques vétérinaires (2001 et 2002)... jettent l'opprobre sur les productions animales. L'élevage intensif est entré dans l'ère du soupçon.

A partir des années 1990, les bureaux économiques des ambassades de France en Allemagne et en Grande-Bretagne ainsi que les responsables commerciaux en contact avec la grande distribution française, font valoir plusieurs faits nouveaux particulièrement sensibles pour les filières bretonnes. Les enseignes européennes imposent des cahiers des charges qui vont désormais bien au delà de garanties sanitaires minimales. Carrefour avec sa Filière Qualité Carrefour (FQC) exige des garanties plus rigoureuses que les normes légales sur l’absence de pesticides ou médicaments résiduels dans le produit. La même exigence règne sur les marchés européens traditionnellement investis par les opérateurs bretons.

En réponse et à défaut de pouvoir communiquer sur des clauses techniques difficiles à expliquer et donc à comprendre pour le consommateur, le marketing de la grande distribution s'interroge sur la manière de faire passer l'idée de qualité des produits. Entre 1990 et 2000, Carrefour ou Monoprix en France, Sainsbury-Tesco ou Waitrose au Royaume Uni, Aldi ou Edeka en Allemagne, Delaize en Belgique, CoopItalia en Italie, Albert Heijn aux Pays-Bas, suivant en cela Migros et Coop en Suisse qui ont souvent joué le rôle de précurseurs, définissent et adoptent un axiome commun qui étalonne encore aujourd'hui en 2014, les règles indépassables de communication-produit : la meilleure preuve qu'un produit est sain est que le territoire qui l'a vu produire est environnementalement bien géré. En somme, c'est la qualité de la gestion du territoire qui atteste de la qualité du produit.

C'est là certes un raccourci peut être un peu rapide. Il est toutefois suffisant pour contrer le traumatisme de la vache folle chez Carrefour en 1996. L'enseigne parvient en effet à maintenir ses parts de marché de la viande bovine pourtant en crise très sévère, en mettant en scène les animaux dans des prairies. C'est également un moyen de répondre aux demandes de la population de l'Europe, ensemble économique le plus riche et le plus âgé du monde, et qui est traversé par une exigence écologique se traduisant plus par la fourchette que par le bulletin de vote. C'est aussi un excellent moyen pour la grande distribution de tirer ses gammes vers le haut, de capter des segments de consommateurs plus rémunérateurs tout en imposant de nouvelles clauses à ses fournisseurs. C'est enfin un biais astucieux pour les enseignes de se donner bonne conscience à bon compte.

De fait, au cours des années 1995-2005 s'organise une dualisation de l'agriculture européenne visible dans les rayonnages des linéaires : d'un côté les produits de masses banalisés sujets à promotion et ne bénéficiant pas de signes distinctifs de qualité, de l'autre des produits disposant de cahiers des charges particuliers, s'adressant aux 30 % de consommateurs acceptant de payer plus pour avoir la garantie d'une certaine sécurité, d'une traçabilité dans les modalités de production et de distribution, d'une protection des actifs naturels...

D'un côté des ensembles géographiques fortement en prise sur des axes logistiques et ayant fait le pari d'une agriculture intensive – animale et végétale – de flux, ayant le plus souvent recours aux dernières innovations technologiques : robots de traite, élevages porcins automatisés, pharmacie vétérinaire à spectre large, sélection génétique et banques de sperme, serres pilotées par informatique... Il s'agit ici de pays essentiellement du nord de l'Europe : Danemark, Pays-Bas, Nord de l'Allemagne, Flandres Belges, mais aussi, seules exceptions dans le bassin méditerranéen, la Catalogne pour les productions animales et l'Andalousie dans les productions végétales. C'est dans ce groupe de bassins de production fortement intensifs que se trouve la Bretagne.

Ces bassins de production se trouvent tous sur les mêmes marchés, élaborent tous le même produit et ont comme seul étalon de comparaison le prix. Rien ne distingue le porc danois de celui produit en Allemagne du Nord ou en Bretagne ; il s'agit de porcs charcutiers d'un poids et d'un taux de muscle rigoureusement identiques. Le fait que la main d'oeuvre dans les abattoirs allemands soit légèrement moins coûteuse que celle employée en Bretagne et c'est le bassin de production de Lamballe ou du Léon qui perd des parts de marché sur le « minerai » destiné à être transformé en saucisse sèche d'Auvergne (5). Qu'une taxe sur le transport polluant pour les poids lourds soit instaurée et ce sont des pans entiers du modèle breton qui sont menacés. C'est ainsi qu'il faut interpréter la protestation bretonne contre l'écotaxe du dernier trimestre 2013.

A l'inverse grâce à la vente d'électricité permise par la mise en œuvre de la méthanisation dans leurs élevages industriels, les producteurs laitiers du nord de l'Allemagne ont réduit les coûts et gagné des parts de marché appréciables tant sur le marché européen qu'à l'export. Dans les deux cas, il s'agit de produits fortement standardisés. Le seul critère de compétitivité est le coût ; la sécurité alimentaire est le plus souvent identique.

De l'autre côté, des ensembles géographiques disposant d'une agriculture du territoire qu'elle soit sous règles de production agrobiologique ou qu'elle dispose de labels d'authenticité de type Indication géographique protégée (IGP) ou appellation d'origine protégée (AOP).

Dans ce second groupe se trouvent les pays du Sud de l'Europe. L'Italie tout d'abord qui a très bien compris tout le potentiel de son territoire, de ses traditions culinaires et qui a parfaitement intégré les règles de protection de ses produits en mettant en oeuvre un recours massif aux IGP et AOP. On peut rattacher à ce pays les bassins de production portugais et certaines parties de l'Espagne ainsi qu'une bonne moitié Sud et Est de la France rythmée par les productions bovines et ovines du Massif Central, les productions volaillères du Sud-Ouest et du Centre-Ouest ainsi que par les grandes marques fromagères du Sud et de l'Est... Dans ce groupe figurent également le Nord de l'Italie et surtout l'Allemagne du Sud (notamment la Bavière et le Bade-Wütemberg) mais aussi l'Autriche qui ont développé un recours massif à l'agriculture biologique à la fois de plaine et de montagne.

Ces agricultures sont caractérisées par un ancrage territorial fort, reflet d'une bonne densité de labels IGP et AOP. Elles sont également caractérisées par une situation sur des marchés portés par une demande soutenue, intéressant le tiers supérieur du marché, qui échappe au phénomènes de baisse de la consommation. Où que ce soit en Europe, l'agriculture biologique accroît avec une remarquable constance ses parts de marché. Les marques distributeurs qui échappent à la stratégie de premier prix parviennent, elles aussi à maintenir leurs positions au prix d'un positionnement de type l'AOP-IGP chez Reflets de France, d'un cahier des charges excluant les OGM chez FQC comme chez bon nombre de marques distributeur allemandes (Lidl ou Tegut par exemple) ou britanniques (Waitrose, Budgen...). Le cas extrême étant représenté par l'Autriche au sein de l'Union, pays dans lequel l'utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l'alimentation animale est purement et simplement bannie des productions nationales et où l'agriculture biologique n'a jamais été marginale.

L'agriculture bretonne qui avait parfaitement négocié les batailles de la production (1955-1970) puis celle des coûts (1970-1990) s'est trouvée en difficulté lorsqu'il s'est agi de négocier la bataille de la qualité.

Lors des deux étapes précédentes, l'équation était simple. La bataille de la production a pu être gagnée grâce au progrès technique et à l'optimisation logistique ; celle des coûts, aidée par de généreuses aides tant de l'Etat que de l'Europe, a également été négociée sans autres dommages qu'une sévère restriction des effectifs agricoles.

La bataille de la qualité a présenté un paradigme radicalement neuf. D'abord axée autour de la sécurité du produit avec la mise en œuvre de la réglementation sanitaire, elle a généralisé à partir des années 1995 les normes de la série ISO 9 000 permettant d'établir une relation de confiance entre client et fournisseur autour de la régularité des produits et des services. Vers la fin des années 1990, la dimension environnementale a été intégrée à l'équation produit avec les normes de la série ISO 14 000 qui garantissent notamment une utilisation rationnelle des produits chimiques et une gestion au plus juste du cycle de l'eau. Parallèlement, suite aux incidents sanitaires, c'est la mise en scène globale du territoire, promue par les marques distributeur, qui est entrée dans la définition du produit « 'bon pour l'environnement donc bon pour la santé' ».


Force est de constater que l'agriculture bretonne a connu – et connaît toujours - de très fortes difficultés d'adaptation à cette troisième bataille de l'agroalimentaire. Contrairement à l'agriculture italienne qui avait pris soin de préserver ses productions traditionnelles et qui en a fait un formidable outil d'image et d'exportation, contrairement à l'agriculture du Sud de l'Allemagne qui s'est très vite rendue compte que l'activité agricole reposait autant sur la fourniture de produits animaux ou végétaux que sur la production d'aménités naturelles (protection des paysages et de l'eau) et sur la fourniture d'énergie, le complexe agroalimentaire breton s'est arc-bouté sur une production de masse, peu différenciée et lourdement exposée aux cycles de crise.



La difficile sécularisation du monde coopératif et syndical

Les causes de ce conservatisme sont sans doute à chercher dans la forme particulière de l'entrepreneuriat agroalimentaire en Bretagne qui fait la part belle aux coopératives issues de la dissolution des Offices en 1945.

Si la forme coopérative avait parfaitement accompagné la bataille de la production et des coûts, elle s'est avérée bien moins adaptée lorsqu'il s'agissait de faire face à la prise en compte de l'environnement dans les itinéraires productifs et à la nécessité de se conformer aux cahiers des charges imposés par les distributeurs. Alors que jusque dans les années 1980 il s'agissait d'écouler tout ce qui était produit, les exigences de qualité qui émergent dans la décennie suivante font changer le pouvoir de main. Désormais, dans un marché bien plus exigeant et arrivé à satiété, c'est l'acheteur, celui qui sélectionne les produits pour l'enseigne qui l'emploie, qui détient le pouvoir et non le coopérateur. Il ne s'agit plus d'écouler la marchandise pour gaver les adolescents du baby-boom de l'après-guerre mais de la rendre conforme aux souhaits de la grande distribution qui impose des clauses à la fois économiques et qualitatives pour une clientèle inquiète.

Ce changement de paradigme heurte de plein fouet le monde coopératif breton. Alors que la direction commerciale pousse à produire de manière plus fine et plus technique, encourageant à réduire les intrants, à restaurer le savoir agronomique, à mieux respecter l'environnement pour satisfaire aux cahiers des charges français, britanniques ou allemands, les coopérateurs représentés par leur président et leurs administrateurs hésitent à demander à leur base l'exercice inconfortable d'une modification de leurs modes de production et de leurs méthodes de travail. Cette sociologie de l'organisation coopérative, qui met l'adhérent au centre de la décision, a certes fait ses preuves durant l'après guerre et correspondait à un projet généreux d'économie sociale et solidaire ; elle s'avère lourde et peu agile pour faire face aux évolutions du marché.

En 2010, faute d'avoir compris ces évolutions, la coopérative généraliste trégoroise UNICOPA créée à l'initiative de François Tanguy-Prigent, disparaît après avoir été démembrée. En septembre 2013 le groupe CECAB, fondé par des légumiers morbihanais et qui n'aurait probablement jamais du s'aventurer dans les métiers de la viande, ferme l'abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau (Finistère) pour préserver un second site à Josselin (Morbihan), lui même menacé quelque mois plus tard par l'embargo sur les marchés du porc destinés à la Russie (2014).

D'autres structures coopératives choisissent de fusionner pour mieux répartir des coûts fixes et grouper leurs offres commerciales. C'est le cas de la Coopagri de Landerneau qui, en 2008, agrège ses activités laitières avec celles du groupe Even de Ploudaniel (Finistère) et de la grande coopérative de l'Est Bretagne basée à Ancenis (Loire-Atlantique), Terrena. Une nouvelle étape est franchie en 2010 avec la reprise des activités laitières d'UNICOPA et l'intégration des actifs de la CAM56.

Dans l'ensemble des filières la première décennie des années 2000 voit un mouvement de concentration qui s'étend jusque dans l'alimentation animale avec la reprise du groupe Glon-Sanders par le géant des céréales Sofiprotéol.

L'objectif est de grossir pour réaliser des économies d'échelle, de mutualiser les fonctions transport - vente, d'utiliser au mieux les sites de production quitte à restructurer et fermer dans des conditions parfois difficiles les sites n'ayant pas bénéficié d'une modernisation suffisante.

Si ces mouvements de concentration permettent de comprimer les coûts, ils ne mettent pas pour autant le complexe agroalimentaire breton à l'abri des phénomènes de tassement des cours au sein d'un marché européen parfaitement fluide. Faute d'un avantage comparatif déterminant, l'oeuf, le lait ou le porc breton se trouvent sur les mêmes marchés que ces mêmes denrées produites aux Pays-Bas, en Espagne, au Danemark ou en Allemagne qui, pour des raisons liées à des tailles supérieures d'élevage, des structures de coûts plus favorables, des ventes d'appoint d'énergie issue de la méthanisation ou à une prise en compte plus volontariste de l'environnement, sont plus compétitifs.

Par ailleurs, le travail de fond engagé par les filières pour assurer une parfaite sécurité du produit est certes extrêmement méritoire – il permet de garder le contact avec le marché – toutefois, dès lors qu'un même effort est réalisé par l'ensemble des filières européennes, il s'agit plus d'une stratégie défensive – ne pas se faire exclure de l'approvisionnement de la grande distribution – qu'une action visant à obtenir une qualité hors de portée des autres bassins de production.

Néanmoins le marketing stratégique reste notoirement sous-développé en Bretagne. L'héritage coopératif et la culture résolument productiviste de la génération des 50-70 ans actuellement aux commandes et ayant vécu les belles heures du modèle agricole breton, demeure un important facteur de blocage.

L'innovation-produit reste marginale et est réalisée le plus souvent à la demande de la grande distribution. Si la Cooperl de Lamballe dans la production porcine, réalise une bonne partie de son chiffre d'affaires grâce à une production sans OGM, c'est bien grâce à l'enseigne Carrefour et à sa FQC qui bannit l'alimentation animale comportant des organismes génétiquement modifiés, que la coopérative a proposé ses gammes. Ce faisant, incitée par son client à innover, elle y a aussi gagné un savoir-faire nouveau car l'octroi de la mention officielle « sans OGM » prévue par la législation française, n'est garanti qu'au terme d'une démonstration durable d'une parfaite maîtrise de la chaîne logistique.




Quelles pistes pour l'avenir ?

L'enjeu agricole et agroalimentaire breton peut donc être résumé par l’équation suivante :

- Le positionnement stratégique est difficile car la « ferme bretonne » est fortement exposée à la dérégulation des marchés sur un niveau international ou européen. Les productions bretonnes ciblent des marchés encombrés et face à des compétiteurs qui peuvent faire valoir les mêmes atouts. L'Europe du Nord mais aussi l'Australie et la Nouvelle-Zélande dans le porc et le lait, les USA et le Brésil dans la volaille. Chine, Russie, pays arabes, Afrique s'en tiennent à des exigences qualitatives minimales. Toutefois ces marchés sont également très sensibles aux événements politiques et aux embargos comme moyens de pression diplomatique. Leurs conséquences sont immédiates et sans appel.

- Les fonctions « supérieures » de la conduite d'une activité économique (analyse de marché, marketing stratégique...) sont généralement atrophiées du fait de la sociologie très particulière de la forme coopérative largement répandue en Bretagne. Il en va de même pour la capacité d'investissement des équipements de production et la capacité de dégager des budgets recherche-développement. La cogestion de l'agriculture qui partage le pilotage du secteur entre l'Etat et les syndicats majoritaires – souvent au profit de ses derniers – a obéré une sécularisation pourtant vitale de l'activité. De fait l'agriculture bretonne s'est exclue des 25 à 30 % des segments les plus rémunérateurs de la consommation européenne où l’on achète autant le produit pour son goût et sa sécurité que pour l'image qu'il véhicule.

- La question de l'environnement est centrale dans la relation de l'agriculture au territoire et à la société bretonne. Depuis une trentaine d'années l'agriculture et une partie significative de la société bretonne se sont enfermées dans un débat qu'elles n'arrivent pas à dépasser. Pour les uns, un respect excessif de l'environnement signifie la mort de l'agriculture et des emplois industriels qui lui sont attachés. Pour les autres le modèle agricole breton a exercé une prédation sans précédent sur les actifs naturels bretons avec les coûts induits énormes que cette dégradation de la qualité de l'eau, des paysages et de la biodiversité, implique. La conciliation du couple agriculture-environnement est vitale.


Une voie étroite qui prend acte de la dualisation de l'agriculture

La refondation d'un projet pour l'agriculture en Bretagne doit donc louvoyer entre deux écueils a priori contradictoires.

D'un côté conserver les 30 000 emplois qui abattent et transforment la viande sur les 4 départements de la Bretagne administrative, 38 000 sur l'espace de la Bretagne réelle, incluant la Loire-Atlantique. Toutefois, maintenir cet effectif sous-entend que le flux de matière première demeure en l'état avec toutes les limites environnementales qui en réduisent l'acceptabilité sociale.

De l'autre concevoir un projet agricole qui soit en étroite cohérence avec une image de territoire de qualité capable de tirer les productions bretonnes vers le haut de gamme, dans un univers où les concurrents sont rares et où l'identité de la Bretagne peut servir de puissant levier pour la conquête des segments les plus rémunérateurs du marché européen. Toutefois, dans ce cas, cette stratégie sous-entend désintensifier massivement les productions et donc détruire un nombre appréciable d'emplois industriels dont on a vu, que ce soit à Gad dans le porc (Lampaul-Guimiliau) ou Tilly-Sabco dans la volaille (Guiscriff), toute l'importance pour maintenir les maillages sociaux en milieu rural.

La question pour l'agriculture bretonne est, en somme, de contribuer à une stratégie qualitative pour la région : permettre que les filières agroalimentaires contribuent de manière positive à l'offre bretonne et que ses atteintes à l'environnement (altération de la qualité de l'eau et des paysages, marées vertes...) disparaissent de la chronique régionale, nationale et européenne sans que cette disparition ne signifie pour autant des destructions d'emplois industriels dans la transformation. Il s'agit donc de tenter de concilier une forme d'élevage que l'on ne peut plus qualifier d'agricole et une agriculture du territoire fait d'un maillage d'exploitations agricoles petites et moyennes, fortement orientées vers la qualité.


Rendre les productions hors-sol extraterritoriales

Le premier volet d'une telle stratégie pourrait être de réduire par des moyens techniques de pointe les impacts de l'agriculture la plus intensive. C'est un chemin qui a déjà été pris par les systèmes de l'Europe du nord.

Depuis les années 1990 en effet, les Pays-Bas ont développé des méthodes d'amélioration continue des performances environnementales des systèmes les plus intensifs, que ce soit dans les légumes ou dans la viande. Une nécessité dictée par la tolérance de plus en plus faible d'une population largement urbaine ou périurbaine d’une densité 4 fois supérieure à la Bretagne (440 habitants au km²) dans un pays élevant annuellement 15 millions de porcs, 5 millions de bovins et 95 millions de volailles. Cette méthode vise à définir des critères de réduction des impacts, qu'ils soient physico-chimiques (fertilisants et pesticides), qu'ils relèvent de la gestion des déchets ou des émissions de gaz à effet de serre. Cette approche a notamment permis de réduire de manière significative les impacts de l'élevage et de la production de légumes sous serre ; elle a également permis de réduire le nombre des acteurs des filières, non pas sur des critères strictement économiques mais bien sur la capacité à maîtriser les impacts environnementaux.

Parallèlement, d'autres normes, issues du monde industriel, se sont développées durant la seconde moitié des années 1990 et la première décennie des années 2000. Elles ont été conçues pour réduire les impacts environnementaux des structures de production industrielle.

Ainsi les normes de la série ISO 14 000, dites de « management environnemental » impliquent un audit de l'élevage sur les points les plus critiques (analyse des process de traitement des effluents, cycle de l'eau, gestion des déchets, conditions de travail des salariés) définissent les règles à mettre en œuvre pour réduire les nuisances. Celles de la norme ISO 50 001 s'intéressent plus particulièrement à l'utilisation de l'énergie, examinent comment en réduire la consommation, en produire par méthanisation ou utilisation des surfaces les plus ensoleillées des élevages afin de limiter les productions de gaz à effet de serre.

L'utilisation de ces méthodes et de ses normes en Bretagne prendrait acte du fait que les élevages de grande taille, que ce soit dans le porc, la volaille ou le lait, ne font plus partie de la sphère agricole mais s'apparentent à des établissements industriels et doivent être considérés comme tels. En contrepartie d'un encouragement à la concentration permettant d'atteindre une masse critique capable d'engager les investissements nécessaires, ces exploitations passeraient sous législation environnementale industrielle, bien plus rigoureuse. Elle aurait surtout comme effet de réduire la charge polluante sur l'espace en les enlevant du bilan régional des pollutions agricoles.

C'est un là pari qui a été fait par l'économie porcine au Danemark et aux Pays-Bas ; c'est aussi une stratégie qui a été mise en œuvre par l'économie laitière de l'Allemagne du Nord qui additionne économie d'échelle des grandes exploitations et vente d'énergie par méthanisation et cogénération.


Promouvoir une agriculture du territoire

L'autre volet consiste à assurer l'avenir de l'essentiel de l'effectif des exploitations agricoles petites et moyennes, garantes d’une gestion de l'espace et des paysages protectrice de la qualité de l'eau. Il s'agit ici de se positionner sur les segments les plus rémunérateurs de la consommation européenne qui rassemblent entre 25 et 30 % du volume mais entre 35 et 40 % de leur valeur.

Ce second volet nécessite une agriculture qui produit aussi bien de l'alimentation de qualité que du paysage ou de l'eau de qualité et s'apparente au modèle promu par le Contrat territorial d'exploitation (CTE) tel que l'avait proposé en son temps Louis le Pensec au titre de la Loi d'orientation agricole de 1998.

Ce dispositif qui a disparu après seulement 4 ans d'existence était pourtant une avancée fondamentale qui avait comme objectif d'inscrire l'agriculture française dans une modernité avec laquelle elle avait perdu le contact. Le CTE prenait acte de la nécessité de penser l'avenir et la pérennité de l'activité agricole au sein de la sphère sociale : les pratiques qui avaient comme ambition de produire de l'alimentation de qualité mais aussi de répondre aux attentes des citoyens : production de services relevant de la protection de l'eau, de la gestion des paysages, de la promotion de la pluriactivité.

Le développement d'une agriculture du territoire nécessite également que les fonctions de recherche-analyse des marchés soient significativement renforcées et que les segments les plus rémunérateurs des marchés européens soient systématiquement analysés. La notion d'analyse de marché prend ici tout son sens à l'heure où les différences se creusent en Europe entre les pays, les niveaux de richesse, les habitudes des citoyens-mangeurs, faisant éclater la sphère de la consommation en de multiples sous-ensembles nécessitant chacun une approche spécifique.

A cet égard la relation avec la grande distribution mériterait également une réflexion de fond. Ces dernières années, les enseignes ont souvent servi de bouc-émissaire des crises agricoles. Ainsi, par exemple, on observera avec la plus grande attention les évolutions des cahiers des charges de la grande distribution européenne qui, depuis une quinzaine d'années maintenant, n'ont cessé d'accroître les clauses relevant de la protection de l'environnement. On prendra tout autant acte de la montée en puissance de l'agriculture biologique sur l'ensemble des productions, qu'elles soient animales ou végétales. En somme, après s'être inspiré de l'agriculture batave pour son innovation technique, il convient maintenant d'intégrer l'autre volet de son excellence : la science du marketing et de son goût pour l'entreprise commerciale.

Il s'agit dans la production laitière, de restaurer le savoir-faire agronomique tel que le promeut le CEDAPA créé par André Pochon en Côtes d'Armor. L'association ray grass – trèfle blanc et la fabrication d'aliments à la ferme doivent permettre de lier l'agriculture au sol en ayant de surcroît recours aux pois protéagineux et autres fèveroles. Cette production laitière, d’une qualité plus favorable à la transformation fromagère, doit aussi permettre d'étendre l'emprise bretonne sur les marchés les plus porteurs (notamment en lait biologique dont l'essentiel est importé d'Allemagne).

D'autres voies peuvent également être explorées dans la diversification des gammes de lait à partir de la sélection des races. Ainsi la vache bretonne pie noir permet-elle de produire un beurre qui, lorsque le troupeau se nourrit d'herbe de printemps et de début d'été, prend une couleur jaune-orangée du meilleur effet.

Il s'agit tout autant de repérer les angles morts de la production laitière française. Ainsi, alors que 80 % des Français rejettent les organismes génétiquement modifiés, pas une seule production laitière française ne s'est dotée de la mention « sans OGM ».

L'intégration de cette mention permettait de créer de nouveaux segments aujourd'hui absents des linéaires français malgré leur énorme potentiel : lait, fromage, yaourts, produits lactés divers comportant le label « sans OGM ». Elle permettrait également de positionner les gammes bretonnes sur les marchés allemand, britannique, suisse, autrichien, italien, belge, luxembourgeois... où de forts courants d'opinion refusent l'artificialisation du Vivant et traduisent ces options en actes d'achat.

Une même approche peut être privilégiée dans les marchés de la viande bovine, porcine et de la volaille. Dans l'économie porcine, le recours à des races traditionnellement implantées en Bretagne (porc blanc de l'Ouest) ou la valorisation de races d'autres régions, peut permettre de créer des groupements porcins axée sur la fourniture d'une transformation charcutière. De telles expérience existent en Europe, notamment en Allemagne (6). D'autres axes de diversification peuvent contribuer élargir la palette d'une offre bretonne désirant s'affranchir de la dictature du marché mondial des denrées alimentaires banalisées et soumises à une concurrence sur les coûts. Les Fermiers de Loué, groupement fort d'un millier d'éleveurs, sont un autre exemple, cette fois dans la volaille, qui pourrait inspirer les opérateurs régionaux. (7)

Ces quelques exemples démontrent que des alternatives existent et fonctionnent ; les axes de diversification pour cette agriculture du territoire peuvent évoluer sur plusieurs registres.

Dans le domaine des races et des méthodes de production, les options sont nombreuses. Le porc sur paille, les races traditionnelles de poulet, de pintade ou de dinde, les laits issus de races spécifiques, les bovins élevés à l'herbe ; plus généralement il s'agit de restaurer le savoir agronomique pour ré-apprendre à « 'écouter pousser une prairie' » ou de maîtriser la faune bactérienne pour transformer les effluents et la paille en compost. Dans tous les cas de figure, il s'agit de rompre avec une logique capitalistique, de préférer la valeur ajoutée au chiffre d'affaires.

Dans le domaine du respect revendiqué de l'environnement il est possible de créer une motivation additionnelle d'achat en plantant un arbre par produit acheté (Fermiers de Loué) ou encore en réalisant une autonomie énergétique (filières laitières allemandes).

Enfin dans le domaine de la commercialisation, si le travail principal consiste tout simplement à mieux comprendre les marchés et à définir les cahiers des charges de produits en conséquence, les nouveaux vecteurs d'image, notamment par le biais des réseaux sociaux, demeurent à explorer.

Au cours des années 1960-1970 les agriculteurs bretons s'étaient inscrits dans une modernité qui leur a assuré un quart de siècle de développement, c'est un nouvel effort identique qu'il leur faut fournir.


Notes :

(1) Voir à ce sujet, Renaud Layadi, 'La Région Stratège, le développement durable un projet pour la Bretagne', PUR, 2004.

(2) Voir à ce sujet le rapport de la Cour des Comptes de février 2002 : « 'La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d'origine agricole : le cas de la Bretagne' ».

(3) Une affaire suffisamment importante pour le le Ministère de l'Agriculture déclenche une enquête qui donne raison à Eau et Rivières de Bretagne. « 'Elevage et fonctionnement du Conseil Départemental d'Hygiène d'Ille et Vilaine' » 2002.

(4) PEE de Cologne, 'Synthèse sur la protection de l'environnement par les consommateurs', mars 1994, Mintel 'Organic food intelligence', Février 1991.

(5) On soulignera que les entreprises de transformation charcutières se sont toujours vigoureusement opposées à ce que l'origine de la viande utilisée pour les salaisons soit mentionnée sur le produit. Une manière pour elles de dissimuler l'origine de la matière première et de pouvoir privilégier les approvisionnements les moins chers en Europe.

(6) L'association « 'Bauerliche Erzeugergemeinschaft Schwäbish Hall' » (BESH) qui promeut la race porcine de Souabe « 'Schwäbish-Hallisches schwein' », produit par contrat son propre soja non-OGM et bénéficie à l'abattage d'une prime de 50 centimes d'euros par kg. En aval, cette matière première de haute qualité est ensuite transformée en charcuterie, à la découpe ou appertisée (voir le site dédié www.besh.de). Désirant contrôler une partie de leurs ventes, outre la cantine du groupe automobile Mercedes-Benz, BESH dispose de magasins de vente directe à Stuttgart, une structure de vente de charcuterie traditionnelle par internet assurant des expéditions sur l'ensemble de l'Europe avec à l'appui des films présentant les conditions d'élevage sur YouTube et un site dédié sur Facebook... Des structures similaires existent en Autriche, en Italie, dans les Ardennes Belges. Elles ont toutes trouvé leurs clientèles ; elles ont toutes appris à maîtriser l'image et le marketing considérés comme suite logique des efforts de qualité sur le produit... Elles expriment une modernité qui préfigure ce que pourrait être, dans les prochaines années, la partie la plus astucieuse de l'agriculture européenne.

(7) Après une réflexion de fond sur l'identité du groupement qui plonge ses racines dans une tradition d'élevage ancrée sur un territoire à la fois mayennais et sarthois, le groupement Fermiers de Loué a toujours refusé l'alimentation animale génétiquement modifiée, a bâti sa propre filière d'approvisionnement et de transformation d'aliments au moyen d'une usine spécialisée et s'est attaché à ne « 'produire que ce qui pouvait être vendu' » (voir à ce sujet le site dédié www.loue.fr). La marque, partant d'un produit unique, a peu à peu décliné ses gammes et propose aujourd'hui plus de 150 références différentes sur l'IGP non-OGM mais aussi le poulet biologique, les pièces de poulet et de dinde, les œufs... En 2014 la production de volaille avoisine les 35 millions de pièces, celle des œufs les 190 millions d'unité pour une filière qui, même au plus fort des crises ayant affecté cette production, n'a subi qu'un palier dans la progression de ses ventes. Portant encore plus loin la démarche, la marque est la première en France à être autonome d'un point de vue énergétique au moyen de 4 éoliennes et de 40.000 m² de panneaux solaires produisant annuellement 22.4 gigawatts.



TIROIR : Agriculture et agroalimentaire



Documents consultables dans le tiroir Agriculture et agroalimentaire :


Bretagne : Une autre économie agro-alimentaire, Vers des modèles plus qualitatifs

Texte collectif de l’association “ Géographes de Bretagne ” 30 mars 2014

Suite aux derniers événements liés aux “ Bonnets rouges ” et à la crise agroalimentaire bretonne, l’association “ Géographes de Bretagne ” souhaite réagir pour contribuer au débat régional. A travers cette prise de position nous n’avons pas la prétention de traiter en quelques lignes toutes les dimensions du sujet, comme toute réflexion géographique l’impose : rôle de l’agriculture dans la transition énergétique, adaptation de l’agriculture au changement climatique, etc… Cependant, parmi d’autres, la question essentielle ici traitée est bien celle du lien de l’agriculture et l’agroalimentaire avec le territoire, car ce lien constitue une parfaite illustration des enjeux de relocalisation pour une politique économique bretonne reterritorialisée.

Et ce nouveau lien doit avoir comme fil conducteur la qualité. La Bretagne doit, en effet, se doter d'une économie agricole plus qualitative, en adéquation avec son image, pour faire vivre ses agriculteurs, valoriser ses territoires et assurer le bien-être de ses habitants. On entend ici par “ qualité ”, un processus de production plus long, plus naturel offrant des produits plus sains, savoureux et respectueux de l’environnement.


Les constats

Quelques constats, en premier lieu, posent le cadre. Ils sont très bien résumés par l’universitaire économiste Mourad Zerrouki : “ la crise agroalimentaire bretonne provient d’une industrie intensive privilégiant des produits à faible valeur ajoutée, un modèle de développement peu adapté aux nouvelles demandes du marché, une crise environnementale mal maîtrisée, une forte concurrence des pays émergents ”.


En effet l’agroalimentaire breton axé sur l’exportation est à bout de souffle, et ce quels que soient les modèles économiques des entreprises issues d’un capitalisme familial ou lié à la spirale des marchés financiers.

Il est même très étonnant, voire alarmant, qu’aucune action structurelle ne soit prévue afin d’anticiper la gravité des conséquences socio-économiques et territoriales dont nous n'avons eues que les prémices. Pourtant si rien n’est fait, ne risque-t-on pas, à l’instar des terrils du Nord, d’inscrire au patrimoine de l’Unesco les cathédrales agroalimentaires qui surplombent nos 4 voies ? Avec ou sans portiques, les enjeux structurels sont ailleurs, la force de l’agriculture bretonne et de son agroalimentaire, indispensable à la Bretagne, est réellement menacée.


Déjà l’espace agricole, composante essentielle de notre identité, est inexorablement grignoté par l’étalement urbain ce qui contribue, de plus, à la diminution du nombre d’exploitations. Leur agrandissement, imposé par les systèmes actuels, est trop souvent l'unique solution recherchée pour le maintien d’un minimum de revenu sans dégradation des conditions de travail. Sur ces seules dix dernières années, 10 % des terres artificialisées en France étaient localisées en Bretagne, laquelle ne représente que 6,2 % du territoire national. Certes des progrès de densification urbaine et de requalification ont eu lieu, mais compte tenu des projections démographiques qui prévoient que de nombreux immigrants voudront s’y installer, ces progrès ne suffiront pas à assurer la place de l’agriculture dans l’aménagement du territoire.

Ainsi à l’échelle de la Région, des Départements et des Intercommunalités, l’affichage des objectifs de protection des terres agricoles doit davantage se traduire dans les actes et précisément dans les outils de planification (PLU, SCOT). Ce message doit être clair pour la profession agricole qui a besoin de sécurité pour investir dans l’avenir. Il doit être clair aussi pour les propriétaires fonciers en attente d’un reclassement des terres agricoles en terres à bâtir. Par ailleurs notre agriculture régionale n’est pas en mesure de rémunérer au juste prix ses agriculteurs dont le niveau de vie dépend trop souvent des subventions publiques. Or, elles vont petit à petit disparaître. Les situations sociales (revenus, conditions de travail) dans les champs comme dans les usines sont de plus en plus préoccupantes. La question de l’importance des suicides est encore aujourd’hui taboue.

Désormais, les agriculteurs ne maîtrisent plus rien dans ce modèle économique éclaté, car ils sont “ pieds et poings liés ” par les prix imposés par la grande distribution et par l’industrie agroalimentaire. Ces dernières, rassemblées par leur préoccupation commune de l’avenir de l’agriculture et de l’économie bretonnes, devraient pourtant tout faire pour accroître la valeur ajoutée de la production, en échange d’une rémunération plus importante, et permettre ainsi de combler l’insatisfaction récurrente des consommateurs en produits locaux authentiques et identifiables, aujourd’hui trop rares et donc si peu accessibles. La dernière enquête Ipsos de 2014 montre qu’un Français sur deux a l’impression de ne plus savoir ce qu’il mange, et que 8 sur 10 cherchent davantage à connaître l’origine du produit avant de l’acheter.


L’activité agricole de la Bretagne est une question de production certes, mais aussi d’alimentation et de santé de ses habitants. Biologique ou conventionnelle, l’agriculture et l’industrie agroalimentaire doivent intégrer en priorité le souci de la qualité nutritionnelle. Le traitement de ce sujet doit être lié avec les perspectives offertes par la demande croissante en produits locaux de qualité identifiés. Or la question de l’alimentation et des débouchés des produits locaux n’est que très peu abordée dans le “ Pacte d’Avenir ”. Pourtant en Bretagne, notamment pour les produits transformés, l’importation de produits agricoles est importante. La grande majorité des poulets consommés dans notre restauration collective provient de pays étrangers alors que l’aviculture régionale est en crise (40% des poulets consommés en France sont désormais importés).

C’est sur ce genre de paradoxe que notre recherche agroalimentaire doit redoubler d’effort et ainsi s’écarter des modèles classiques éprouvés.


Enfin dernier constat, et ce malgré les efforts déjà engagés et les progrès réalisés, les impacts environnementaux et paysagers de nos modèles bretons restent trop importants. Pour autant, l’activité agricole est un facteur essentiel de préservation de la biodiversité et des paysages. Sans elle, il serait difficile de gérer nos talus, prairies bocagères, landes et zones humides… Vécues aujourd’hui comme une contrainte, ces actions de valorisation ne sont pas suffisamment parties intégrantes du modèle économique de nos exploitations et impliqueraient une dotation plus significative offerte par la collectivité aux exploitations effectuant ce travail, comme cela se pratique en Grande Bretagne dans les ESA (Environmentaly Sensitives Areas).


L’agriculture biologique, plus haut degré de l’agriculture écologiquement intensive, est encore insuffisamment développée et ce, principalement, par insuffisance de son organisation économique et des disponibilités foncières faiblement partagées. Cependant, même nécessaire, la conversion à l’agriculture biologique ne va pas de soi. Ne pas intégrer les difficultés des exploitations conventionnelles pour effectuer cette mutation, les stigmatiser parfois, n’est pas faire preuve à leur égard de considération alors même qu’on cherche à les convaincre.

La question de l’environnement est complexe. Elle ne doit pas être réduite à des raisonnements binaires simplistes et à des schémas de responsabilisation unilatérale. Les agriculteurs ont su collectivement s’adapter et répondre aux demandes quantitatives de la société. Ils pourront le faire demain pour satisfaire les demandes qualitatives mais, cette fois, avec tous les autres acteurs concernés, en recherchant la viabilité économique et ce dans le cadre d’une grande responsabilité collective.

Pour le développement durable de la Bretagne, le sort de l’agriculture et de l’agroalimentaire, n’est plus uniquement lié aux décisions des entreprises et des producteurs. C’est d’un élan commun des territoires, regroupant producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs, associations et collectivités que doit venir le sursaut de toute une Région.


Les Propositions

Pour relever le défi, de nouveaux liens qualitatifs doivent être renoués avec quelques premiers principes ici proposés.


- Une agriculture au service des agriculteurs : face à la crise, ils doivent demain axer davantage leurs revenus sur les services rendus aux territoires, à leurs habitants, et surtout sur la valeur ajoutée de leurs produits. Les marges de manœuvre sont fortes puisqu’en la matière la Bretagne est depuis longtemps en avant dernière position au niveau national. Le maintien d’une agriculture durable devra aussi se reposer sur une plus grande autonomie des exploitations. Aujourd’hui volontairement isolées, et à l’affût de la disparition des voisines pour s’agrandir, elles doivent demain être plus solidaires pour peser sur les marchés et se regrouper avec de vraies coopératives au service des agriculteurs.


- Une agriculture au service d’une alimentation : sécurisante, traçable, saine, accessible à tous, elle doit être source de meilleurs revenus pour les agriculteurs. L’authenticité bretonne, au-delà du slogan touristique, doit être un réel vecteur économique de développement de nos produits locaux et des saveurs de terroirs. Elus, représentants de l’agriculture et de l’agro-alimentaire ne peuvent plus ignorer à ce point, dans ce contexte de crise économique et sociale, le potentiel offert par la reconquête du marché intérieur régional, car les consommateurs souhaitent savoir si les produits qu’ils consomment, sont issus de leur Pays.

Ce marché intérieur mérite d’être mieux connu : quelle est sa réelle part de débouchés par rapport à ceux de l’exportation ? De même quelle est l’importance des produits agricoles importés en Bretagne ? En 2010 les importations des produits des industries agroalimentaires coûtaient à la Bretagne 11.7 milliards d’euros avec un volet important concernant la viande et produits à base de viande. Est-il normal que, pour des raisons probablement financières, la première région agricole de France importe des produits agricoles qu’elle pourrait elle-même fournir ?


- Une agriculture au service des territoires : son avenir économique devra davantage dépendre des décisions locales, partageant ainsi un sort commun avec tous les acteurs d’un même territoire dans et pour lequel l’environnement préservé sera source de plus-value économique. En effet les pollutions agricoles de l’eau (excès de nitrates, pesticides..), sont imposées par les exigences des rendements quantitatifs pour l’exportation. Demain avec un objectif de rééquilibrage qualitatif, ces exigences seront significativement plus faibles, et par conséquent les impacts environnementaux seront assurément amoindris. Par ailleurs, aspect non négligeable, l’emploi s’avère être proportionnellement plus important dans les exploitations dont tout ou partie de la production est destiné à la consommation locale.


- Un secteur agroalimentaire au service de la valeur ajoutée des produits : cette orientation implique une qualification professionnelle optimisée de ses employés. Les entreprises pourront dans ce cadre bénéficier de débouchés commerciaux davantage maîtrisés car plus en lien avec à la demande alimentaire interne à la région.

Combien de drames sociaux faut-il encore attendre pour que les responsables d'entreprises agro-alimentaires anticipent l'évolution attendue des marchés, s'engagent dans de réelles stratégies de développement déconnectées des financements publics, s’orientent vers la recherche de plus de valeur ajoutée, elle qui nous fait tant défaut ?

Certains l'ont déjà compris, mais ils restent trop peu nombreux. Le secteur agroalimentaire avec la grande distribution, la profession agricole, les territoires comme médiateurs et la Région comme fer de lance, doit pouvoir instaurer un nouveau partenariat équitable, pour une nouvelle gouvernance économique solidaire au service de la Bretagne et de ses habitants.


Pour conclure

Il y a, en effet, peu d’activités économiques, comme l’agriculture, à ce point liées à nos territoires et à leur développement durable. C’est pourquoi la nouvelle politique agricole qualitative de la Bretagne doit ouvrir la voie pour que son avenir et ses équilibres ne dépendent plus autant des décisions opportunistes à court terme des marchés. Région attractive pour les activités et les hommes, la Bretagne ne doit plus laisser l’économie seule maître et guide de l’aménagement du territoire, au risque d’accroître les déséquilibres environnementaux, sociaux et territoriaux entre littoral et intérieur, entre l’ouest et l’est, entre la métropole qui rejette en périphérie les plus pauvres et la campagne qui se meurt.

Les communes et les Pays, pour un dynamisme économique local qualitatif, doivent aller au-delà de la simple recherche d’une perpétuelle croissance démographique, laquelle n’est pas

toujours synonyme d'amélioration de la qualité de vie ou de bien être des habitants. Il leur faut, là aussi, sortir des schémas de la concentration urbaine synonyme pour beaucoup d’efficacité économique, et mieux centrer leurs politiques de développement territorial sur la qualité des aménagements et des paysages. Pour ce faire, il ne faut pas, en terme d’aménagement aller au-delà de ce que leurs territoires sont capables de recevoir et d'assimiler. Une gestion maîtrisée des espaces est aujourd’hui nécessaire, pour le bien de tous et l’avenir économique de nos territoires dans un objectif inéluctable de développement durable.

Pour cela, il faut sortir les Pays bretons du système concurrentiel, “ à celui qui enlèvera à l’autre telle entreprise ou telle enseigne…. ”. Il y a urgence à rentrer dans une nouvelle ère, pour une émulation solidaire de tous les Pays, et de manière à n’en laisser aucun de côté, que ce soit dans l’agroalimentaire ou dans les autres secteurs économiques, selon les spécificités et les atouts de chacun.

“ Vivre et travailler au pays ”, ce sont tous les Bretons, quel que soit leur lieu de résidence, en ville comme en campagne, qui doivent pouvoir le revendiquer. L’hyper concentration des hommes et des activités en ville et sur le littoral est lui aussi un modèle qui a trouvé ses limites, car il est source d’exclusion et d’altération de la qualité environnementale de nos territoires, pourtant elle-même source d’attractivité.

La Région Bretagne, s’appuyant sur les autres collectivités, avec plus de compétences et de moyens, doit être un acteur économique moteur et fédérateur, capable de faire converger toutes les initiatives et énergies afin de mettre en œuvre cette nouvelle politique. L’objectif serait ainsi de promouvoir une Bretagne soucieuse du développement équilibré de ses territoires, de l’emploi justement rémunéré, notamment dans le secteur agricole et agroalimentaire. C’est à ce prix que la Bretagne pourra maintenir l’extraordinaire richesse de son environnement, de ses paysages ainsi que son identité, piliers essentiels de son économie et de son avenir.

L’économie agroalimentaire et l’agriculture bretonne doivent demain montrer l’exemple d’un secteur d’activité dont le développement est pleinement ancré sur son territoire et respectueux de ses richesses et ses équilibres. La tâche, indispensable, sera longue mais à la portée de la Bretagne. C’est par la force de son intelligence, et de la solidarité qu’elle est capable de générer, qu’elle relèvera le défi d’une agriculture et d’une Bretagne de qualité pour tous.


Une alimentation salubre accessible à tous ? - L’émergence d’une nouvelle filière agro-alimentaire

Texte de Pierre-Yves Le Rhun, décembre 2014

Depuis plus de 20 ans Pierre Weill, agronome et chercheur, étudie le lien entre l’environnement, l’alimentation animale et la santé des consommateurs. Il a d’abord vérifié que la pratique traditionnelle d’éleveurs d’Ille et Vilaine et du Maine d’ajouter de la graine de lin dans la ration des bovins, améliore la qualité de la viande. Des essais ont montré que cet effet bénéficie également aux autres animaux d’élevage. Fort de cette certitude, P. Weill crée en 1993 l’entreprise Valorex à Combourtillé (Ille et Vilaine) qui cuit sous pression des graines de lin destinées à compléter les rations des animaux d’élevage.



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Un emblématique champ de lin aux fleurs bleues devant l’usine Valorex de Combourtillé (photo Valorex)


La démonstration scientifique du lien entre l’alimentation animale et la santé humaine

Les essais sur des consommateurs sont très encadrés par la législation. Pour réaliser des études cliniques, P. Weill s’est associé au Docteur Bernard Schmitt (1) et au Professeur Philippe Legrand (2), deux éminents spécialistes de la nutrition humaine. En 1999 débute la première étude des effets de la chaîne alimentaire sur la santé des consommateurs. La moitié des 80 volontaires consomment de la viande et des œufs d’animaux nourris de maïs + soja. L’autre moitié mange les mêmes aliments produits par des animaux ayant accès à l’herbe et recevant un complément de graines de lin cuites. Les résultats des analyses de sang prélevé sur les volontaires, publiés en 2002 dans la revue scientifique "Annals of Nutrition and Metabolism" prouvaient les effets bénéfiques sur la santé humaine d’une filière herbe + lin.

P. Weill écrit : « Avant cet essai, la logique d’amélioration de la chaîne alimentaire à ses racines, et le concept d’ « agriculture à vocation santé » n’étaient que des théories logiques ou des idées séduisantes. Après cet essai, c’est une réalité mesurable et mesurée puisque l’on peut suivre les nutriments depuis le champ jusqu’à la composition des cellules du corps. » (3)

En 2002, une nouvelle étude porte sur des volontaires diabétiques et donne des résultats très positifs sur les malades nourris par des aliments issus de la filière herbe+lin. Non seulement leurs profils sanguins s’améliorent, mais P. Weill constate qu’en plus : « certains paramètres cliniques du diabète, et notamment l’insulino-résistance, s’améliorent de façon significative au bout de trois mois. La mesure de ces modifications est importante ; les résultats obtenus sont du même ordre que ceux obtenus avec certains médicaments. » (4)

Et P. Weill de conclure : « Dans cette étude nous avons bien mesuré une amélioration de paramètres de santé chez des personnes malades en fonction non pas de la nature des composants de leurs repas, mais en fonction du mode de production de ces œufs, beurre, viande, pain et fromage. Avec ces mesures, nous mettons en évidence un lien positif entre agriculture, élevage et santé ». (5)

Le secret de la salubrité des produits de la filière herbe-lin, c’est qu’ils apportent des acides gras poly-insaturés, essentiels à l’organisme humain, dans une proportion proche de l’optimum physiologique, soit 5 oméga 6 pour 1 oméga 3. C’est un avantage énorme car en France les enquêtes révèlent que l’alimentation humaine est dans un rapport entre 15 et 20 oméga 6 pour 1 oméga 3. Un tel déséquilibre est une cause de maladies telles que diabète, obésité, cancer, etc.

Seuls les végétaux sont capables de fabriquer les acides gras poly-insaturés qui sont transmis par les animaux herbivores aux humains. Les oméga 3 sont majoritairement présents dans les algues et l’herbe, tandis que les graines contiennent beaucoup d’oméga 6 à la rare exception de la graine de lin qui recèle 4 oméga 3 pour 1 oméga 6. De là l’intérêt de son apport dans l’alimentation animale.

La qualité des œufs mérite une attention particulière. (6) Lorsque la poule consomme de l’herbe ou reçoit un complément de graine de lin, l’œuf contient du DHA, un acide gras, l’acide cervonique très présent dans le cerveau humain. La dose minimale pour un adulte est de 120 mg/jour. Comme la plupart des poules sont nourries au maïs+soja, leurs œufs sont carencés en DHA, un déficit dangereux pour le développement du cerveau des enfants. Or des expériences ont prouvé que ce problème peut être réglé par l’apport de graines de lin dans la ration des pondeuses à très faible surcoût, de l’ordre de 2 € par an pour une famille de 4 personnes, à la condition que ce soit une production de masse. Pour lancer le mouvement, il fallait donc créer une filière efficace pour la production et disposant d’une large diffusion.


La construction d’une filière de produits alimentaires salubres

L’objectif a été très clairement exprimé par P.Weill : « L’amélioration de la qualité de l’alimentation doit se faire sur des produits de masse, accessibles à tous, sinon l’écart va se creuser entre les plus aisés qui auront à la fois les moyens de s’acheter des produits de qualité et l’éducation nutritionnelle qui va avec, et les autres qui n’auront accès ni aux uns, ni à l’autre. »(7)

En 2001, P.Weill crée l’association Bleu-Blanc-Cœur qui regroupe les producteurs d’animaux et/ou de végétaux intéressés par sa démarche et la production d’aliment de Valorex. Ces producteurs sont souvent déjà engagés dans des organisations recherchant d’autres voies que le modèle dominant. Citons le CEDAPA (Centre d’études pour un développement agricole plus autonome) créé en 1982 par André Pochon, agriculteur des Côtes d’Armor) et l’AEI (Agriculture écologiquement intensive) lancée par l’agronome Michel Griffon en 2008. La grande coopérative agricole TERRENA (20 000 agriculteurs, 12 000 salariés) basée à Ancenis a adopté l’AEI comme axe stratégique et s’est engagée à promouvoir une agriculture responsable vis-à-vis des consommateurs. Cette démarche de la part d’une coopérative aussi puissante cautionne évidemment la démarche de P. Weill. Le logo que l’association BBC appose sur les produits de ses adhérents, garantit qu’ils sont conformes au cahier des charges et donc salubres, c’est-à-dire bons pour la santé humaine.



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Le logo BBC apposé sur une boîte d’œufs vendue dans un supermarché U (photo P-Y Le Rhun)

Début 2013, l’étape suivante fut franchie par U, un grand groupe de la distribution. P. Weill : « Dans les supermarchés U, tous les œufs de la marque U, qu’ils soient bio, Plein Air, ou Premier Prix répondent au cahier des charges de l’association Bleu-Blanc-Cœur qui propose une façon de nourrir les poules en rupture avec le menu standard maïs-soja et donne ainsi aux œufs une teneur en DHA deux à trois fois plus élevée…Selon les dirigeants de la chaîne, le surcoût est de 0,5 € par consommateur et par an ». (8) Chaque année la chaîne U vend 400 millions d’œufs, ce qui permet d’affirmer que, pour ce produit, la filière est sortie de la marginalité et que le pari de P.Weill d’un faible surcoût est gagné.


Une filière en pleine croissance et en diversification

Pour garantir son approvisionnement (10 000 T. de lupin et féverole, 60 000 T. de graines de lin) Valorex passe des contrats de 3 ans et prix garantis avec des agriculteurs. En 2013 la production d’aliment du bétail atteint 131 000 T. à Combourtillé et Châtillon-en-Vendelais (Ille et Vilaine) et Argentan (Orne). D’autre part, en s’associant avec des partenaires, la firme s’est implantée près de Poitiers, de Rodez et de Besançon. De plus elle produit également en Suisse et en Allemagne. La PME bretonne emploie 115 salariés dont une trentaine d’ingénieurs et elle commence à exporter (10 000 T. en 2013 à destination de la Corée, du Japon, etc).

La diversification, c’est de produire des farines destinées à l’alimentation humaine. Elle a débuté en 2013 (1 000 T). Les boulangers qui améliorent ainsi leurs fabrications peuvent informer leurs clients que leurs pains sont riches en Oméga 3 et donc bons pour leur santé. Valorex n’oublie pas les particuliers qui peuvent se procurer sur Internet une gamme de farines en sachets. (10)

Une telle expansion découle d’un rapide élargissement de la clientèle. A la fin de son livre de 2014, P. Weill se montre optimiste : « On sait que le surcoût ne dépassera pas 30 € par Français et par an, si une production de haute qualité nutritionnelle se met en place à grande échelle, avec des critères mesurables… L’exemple des œufs a déjà ses équivalents dans le lait, le jambon et dans les huiles, et avec des marques leader. » (9) Il note le retrait progressif de l’huile de palme hydrogénée dans la biscuiterie et autres produits courants. Mais il signale que perdure le scandale des laits infantiles et de croissance, toujours privés de leur matière grasse laitière et enrichis en graisse de palme.

La concurrence aidant, on peut maintenant espérer que les grands groupes de la distribution prennent exemple sur U et proposent à leurs clients des produits salubres tout en continuant de promouvoir les producteurs locaux. Enfin on constate à quel point les gouvernements de la plupart des pays développés ont failli à leur mission de santé publique en laissant le champ libre aux grandes multinationales de la chimie, de l’agro-alimentaire et de la distribution. Elles peuvent exercer une lourde pression sur les médias, sur les scientifiques, voire sur des hommes d’Etat, et manipuler des producteurs agricoles et par la publicité la masse des consommateurs. Le livre de M.M. Robin fourmille d’exemples sur les méthodes de manipulation employées par Monsanto. (11)


Notes :

(1) chef du service diabétologie, endocrinologie, nutrition au Centre hospitalier de Bretagne sud à Lorient, expert permanent en nutrition de l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), directeur du CERN (Centre d’enseignement et de recherche en nutrition).

(2) directeur du laboratoire de biologie humaine de l’INRA à Rennes.

(3) Pierre Weill, Tous gros demain ?, Plon 2007, page 155.

(4) ibidem page 156.

(5) ibidem page 158

(6) ibidem page 190

(7) ibidem page 189

(8) Pierre Weill, Mangez, on s’occupe du reste, Plon 2014, page 167.

(9) ibidem page 225

(10) site de vente Valorex : www.boutiquelinette.fr

(11) Marie-Monique Robin, Le monde selon Monsanto, de la dioxine aux OGM…, La Découverte et Arte Editions


Sources :

Pour l’essentiel les ouvrages cités de Pierre Weill et M.M. Robin La presse régionale dont Ouest-France.


DOCUMENT ANNEXE : Tableau et commentaire sur les filières alimentaires

CHAINE_ALIMENTAIRE.jpg

Source : ouvrages de Pierre Weill - Conception : P-Y Le Rhun, "Géographie Numérique de la Bretagne", Ed. Skol Vreizh


La chaîne alimentaire d’un pays développé est nettement plus complexe que la représentation graphique proposée dans ce tableau. En particulier le premier schéma ne montre pas qu’une partie de l’approvisionnement de la chaîne provient de l’extérieur (soja du Brésil, huile de palme de Malaisie, etc) et que les grandes surfaces importent aussi pour leur clientèle des produits alimentaires élaborés par d’autres chaînes alimentaires. Seuls les traits majeurs de la chaîne ont été retenus pour que les schémas soient faciles à lire.

Le premier schéma met en évidence le rôle majeur de la grande distribution dans le fonctionnement actuel de la chaîne alimentaire. Il découle du fait que, pour vendre à une large clientèle, les entreprises doivent obtenir le référencement de leurs produits par la grande distribution qui se trouve donc en mesure d’imposer ses exigences. La stratégie d’écrasement des prix a certes rendu les produits plus abordables mais elle a eu l’inconvénient majeur et inadmissible de dégrader gravement leur qualité. Elle a mis la pression sur les entreprises agro-alimentaires qui ont recherché les produits agricoles les moins chers, au besoin en les faisant venir de très loin, ce que permettent les coûts très bas des transports maritimes. Ils ont mis aussi bien sûr la pression sur les agriculteurs de notre région. Dans la "Géographie Numérique de la Bretagne", le chapitre sur l’agriculture rédigé par Renaud Layadi expose clairement les conséquences de ce système dans les campagnes bretonnes.

La filière créée par Pierre Weill a prouvé que la qualité des aliments pouvait être améliorée sans hausse dissuasive des prix. Le groupe U a été le premier à s’engager à fournir des aliments salubres à prix modérés et il est probable que ses concurrents se sentiront dans l’obligation de mieux prendre en compte la santé de leurs clients.

Le second schéma montre les multiples avantages qui découleraient de ce changement radical de stratégie commerciale: une meilleure santé pour les hommes, pour les animaux, pour l’environnement, bref des résultats d’un immense intérêt qui semblent à la portée des acteurs de la filière.

Mais ces effets bénéfiques demanderont du temps pour s’exprimer pleinement. D’abord il faut que l’ensemble de la grande distribution donne la priorité à la qualité nutritionnelle des aliments.

Ensuite il faut du temps pour que, par exemple, les exploitants agricoles s’adaptent à la nouvelle donne et pour que les maladies, engendrées par quarante ans d’alimentation carencée, se raréfient. C’est pourquoi le schéma n°2 n’indique pas des résultats complets mais seulement des évolutions positives, ce qui serait déjà un signe qu’il faut persévérer dans la voie ouverte par Pierre Weill et son équipe.




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